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DEAUVILLE ASIA 2012 – Les grandes tendances de cette édition

Si la précédente édition était placée sous le signe du drame social et sociétal, hormis quelques rares exceptions (dont le lauréat "Eternity", du thaïlandais de Sivaroj Kongsakul), Le crû 2012 s’est avéré plus ouvert et accessible. Paradoxalement, moins nombreux étaient les pays représentés : le Japon, mis à l’honneur en mémoire de la catastrophe de Fukushima, la Chine, la Thaïlande, la Corée du Sud, les Philippines et, pour la première fois depuis la création du festival, l’Iran (choix qui a fait grincer des dents bon nombre de festivaliers). Il n’empêche que la qualité était globalement au rendez-vous, à travers des films aussi divers qu’intéressants. Voici un petit tour d’horizon des grandes tendances ayant marqué la compétition.

Le grand retour de l’humour et du second degré
A part une poignée de films comme "Funuke - Show some love, you losers !" (2008), "Symbol" ou "Castaway on the moon" (2010), les comédies sont généralement peu présentes au sein de la compétition deauvilloise. En effet, les sélections successives leur ont toujours préféré les films réalistes, miroirs de leur temps ou reflets de leur pays, quitte parfois à rendre la programmation un rien austère. Cette année, cependant, un vent de légèreté semble avoir soufflé. Non seulement une comédie dans la veine de « Symbol », réalisée par le même Hitoshi Matsumoto et intitulée « Saya Zamourai », a fait hurler de rire le palais de festival, introduit par une intervention haute en couleur de son créateur. Mais de plus, l’humour s’est aussi emparé de sujets plus durs, tels que la misère sociale et affective (« Beautiful Miss Jin », de de Jang Hee‐chul), le deuil (“I carried you home” de Tongpong Chantarangkul) ou encore la fracture familiale (“I wish” de Hirokazu Kore‐eda, présenté hors competition). Il n’est bien sûr pas question d’un basculement complet, mais d’un assouplissement tout à fait bien venu.

Voyages à travers soi et chemins de croix
En ce qui concerne les sujets traités, un thème fort a guidé une partie des films présentés : celui de la traversée. Le chemin de croix que s’inflige le personnage de « The Sun beaten path » (Sonthar Gyal) à travers les paysages montagneux Tibet, pour apaiser sa culpabilité, a tout d’une traversée du désert. Idem pour la longue marche dans la neige que connaissent les deux protagonistes de « Murder is my profession » (Amir hossein Saghafi), l’un en cavale avec sa petite fille, l’autre en transfert vers son lieu de détention. Dans les deux cas, l’hostilité des conditions météorologiques rend le périple physiquement et psychologiquement ardu, difficile à supporter également pour le spectateur. Autre variante de la traversée présente dans deux films cette année : le road movie. “I carried you home” (Tongpong Chantarangkul) met en scène deux sœurs fâchées, contraintes d’escorter le corps de leur mère à travers la Thaïlande, le tout à bord d’une ambulance. La traversée est géographique, mais aussi initiatique, puisque les deux sœurs vont ainsi réapprendre à se connaître. Le film « Mourning » de Morteza Farshbaf, grand vainqueur du festival, utilise aussi le concept de road movie, avec cette histoire d’un couple ramenant leur neveu à la maison sans savoir comment lui annoncer que ses parents sont morts. L’originalité tient au fait que le couple en question est sourd et ne communique que par signes et onomatopées. On est donc là aussi sur une traversée qui dépasse le simple champ géographique.

Des héros courts sur pattes et en tribu
Cette année encore, les enfants ont occupé des rôles clés dans les films proposés. Ca a été tout particulièrement le cas dans « Beautiful Miss Jin » (la gamine SDF), « Death is my profession » (la fille du fugitif), « Mourning » (l’orphelin qui s’ignore) et « Saya Zamourai » (la fille du samouraï). Or cette fois-ci, le festival a vu émerger ces petits héros à la tête de véritables tribus, groupes d’enfants aux ambitions plus ou moins fortes. Le film « I wish » de Hirokazu Kore‐eda, présenté hors compétition, met en scène deux frères séparés suite au divorce de leurs parents, et qui décident de se retrouver au croisement de deux trains pour réaliser leur vœu. Ils emmènent avec eux leurs petits camarades, qui ne sont pas de simples faire-valoirs mais de véritables co-équipiers, dans une aventure incroyable. On retrouve à peu près le même esprit d’équipe dans « 11 fleurs », de Wang Xiaoshuai, où le jeune Wang, narrateur de l’histoire, s’entoure systématiquement de ses petits copains pour épier les grands et assister, sans trop comprendre, aux derniers mois de la révolution culturelle (l’action se déroule en 1975). Mais parce qu’il est impliqué dans la recherche d’un criminel contre-révolutionnaire, Wang sera gagné avant les autres pas sa conscience politique. Deux beaux films qui, bien que traitant d’époques et de sujets différents, séduisent par la fraicheur et l’innocence du regard qu’ils proposent.

Informations

Alors que le public de festivaliers aurait aimé voir « Saya Zamourai » récompensé d’un lotus d’or ou d’argent (c’est en tout ca ce qui s’est fait largement sentir dans les salles et les réseaux sociaux), le jury présidé par Elia Suleiman a choisi de consacrer l’iranien « Mourning » et le philippin « Baby factory ». Un fossé qui se creuse d’année en année mais qui, espérons-le, contribuera à préserver la diversité des sélections futures.

Sylvia Grandgirard Envoyer un message au rédacteur