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DEAUVILLE 2008 - Racisme et mixité

Deauville, avant « l’Obama-nia » délirante de la fin d’année 2008, a frappé fort en faveur de la mixité des peuples, de la défense des droits des hommes et de l’abolition des races avec une sélection de longs-métrages, de documentaires et d’hommages dignes d’un observatoire complet sur le sujet, aujourd’hui plus encore d’actualité.

Unis dans un monde partagé

En offrant le Grand Prix à « The Visitor », le Jury du Festival de Deauville 2008, emmené par la toujours royale et resplendissante Carole Bouquet, a tenu à donner une place prépondérante aux valeurs d’humanité, de respect de toutes les cultures et aux droits intrinsèques de tout un chacun à VIVRE DIGNE en ce bas monde.

Le magnifique film de Tom McCarthy montre l’engagement d’un citoyen américain (impressionnant Richard Jenkins) dans la lutte contre un système qui renvoie de son pays des immigrants clandestins sans qu’on leur laisse une chance de s’insérer et d’accéder à une vie normale. L’histoire de ce paumé qui retrouve goût à la vie au contact de cette population qu’il ignorait jusqu’alors est des plus poignantes. Un message émouvant de paix entre les cultures et un Grand prix mérité pour un film qui dénonce adroitement l’engrenage d’une politique nationale étrangère qui rappelle furieusement des méthodes françaises condamnables.

Blanc et noir, aucune différence

Vivre tous ensemble, former des couples mixtes est également au cœur de nombreux films présentés à Deauville cette année. Ainsi, dans « Gardens of the night », les touts jeunes Leslie et Donnie, enlevés enfants par d’ignobles adultes, vont très vite dans la douleur et l’angoisse faire fi des origines qui les séparent pour s’unir et se soutenir l’un et l’autre. Il est inimaginable que cette question de différence de couleur de peau entre en question dans cette histoire. Et si c’était cela la réponse à l’absurdité de la xénophobie et du racisme ?

Neil LaBute compose aussi un couple mixte dans « Harcelés », formé par Patrick Wilson et Kerry Washington. Symbolisant la modernité et l’ouverture, cette union est de plus en plus fréquente au cinéma alors qu’elle a longtemps été d’une rareté inquiétante. A cette nouveauté, il aborde une facette du racisme comme peu vue au cinéma en montrant comment Samuel L. Jackson, le voisin du jeune couple "black and white" et noir de peau donc, pète les plombs et développe à leur encontre une haine raciale qui ira jusqu’à une violence extrême. Le couple uni ne se laissera pas intimidé par la brutalité de ses mots et de ses actes, et la fin du film montrera que l’alliance des diversités est plus forte que l’alliance d’une même communauté.

« Ballast », Prix du jury 2008, est un film sensible et très touchant où le casting est à majorité d’origine noire. Il est intéressant de se dire que l’histoire écrite et réalisée par Lance Hammer pourrait être complètement adaptée pour une population blanche qui prendrait le rôle des noirs (et inversement). C’est une histoire universelle qu’il a écrite sur une famille qui essaie de se sortir d’une situation sociale dégradée. Et c’est assez rare de la voir jouée par une famille d’origine noire car dans le cinéma américain elles ont communément un destin tragique, tombant dans la drogue, le banditisme et vont rarement se battre pour sortir la tête de l’eau et ouvrir, dans ce cas présent, un magasin d’alimentation pour vivre comme d’honnêtes citoyens. Ce cinéma, à rapprocher d’un Dardenne à l’américaine comme on le soulignait sur notre site, montre l’évolution des mentalités des studios à produire des films rendant compte des vraies conditions sociales pour toutes les communautés d’Amérique du Nord. Enfin, la famille noire américaine n’est pas au cœur d’un éternel film sur le thème classique de la ségrégation. Le cinéma indépendant voit plus loin, voit moins cliché.

La question noire aux Etats-Unis

Le regard du cinéma américain s’est également tourné sur son propre passé. La preuve avec le documentaire « Made in America » de Stacy Peralta. Elle raconte comment, à Los Angeles, sévit une lutte armée de deux gangs rivaux mêlant des blacks, des blancs et des latinos : les Crips et les Bloods. Ils s’y affrontent depuis quarante ans. Le documentaire a l’intelligence de revenir aux sources même du conflit. Car on apprend qu’à l’époque de la traite des noirs les USA ont su tirer profit de ces hommes et femmes dans les champs de coton et qu’une fois l’esclavage aboli ces populations ont été réparties sur le territoire américain et vivement malmenée, les afro-américains étant harcelés et cloisonnés par la police « blanche » faisant monter chez cette population, au fil des années, une haine et une pression qui explosa au milieu des années 60. La violence entraîne la violence et l’Amérique récolte encore aujourd’hui ce qu’elle a semé des décennies plus tôt.

Même constat chez Spike Lee, à qui un vibrant hommage à été rendu, récompensant la carrière et les œuvres du cinéaste mais aussi l’engagement politique de l’homme qu’il est. Dans son nouveau long-métrage « Miracle à Santa Anna », Spike Lee revient sur un pan de l’histoire américaine peu glorieux en dénonçant la manière dont l’armée US envoyait ses soldats afro-américains sur le devant du front de la Seconde Guerre mondiale s’en servant comme chair à canon face à son ennemi allemand. Il raconte même comment des messages radiophoniques étaient utilisés par la Wehrmacht envers ces lignes de soldats afro-américains pour leur faire prendre conscience comment les généraux US les utilisaient sur le devant du front avant d’envoyer les blancs au combat. La différenciation entre les blancs et les noirs allait même jusqu’au retour des soldats dans leur patrie-mère où, lorsque les bateaux accostés au port, il été organisé deux sorties, une pour chacune des couleurs de peau. Le film pose notamment l’incroyable question : comment a-t-on pu autant démarquer deux soldats, l’un blanc, l’autre noir, alors qu’ils allaient tous deux combattre le même ennemi, sur le même champ de bataille, pour les mêmes idéaux ?

La religion au-delà de la couleur de la peau

Alan Ball, créateur et scénariste de la série « Six feet under » aime frapper fort ! Il parle sans tabou. Autant dire qu’il est une sorte d’ovni dans le paysage cinématographique américain ! Ses scénarios traitent tout à la fois de la mort, de l’homosexualité, du racisme, de la religion, de la drogue. Thèmes que l’on retrouve dans « Six feet under » ou « American beauty » et auxquels on peut aujourd’hui « Towelhead » ou « Nothing is private » comme il a été rebaptisé outre-atlantique. Il se penche sur un microcosme dans un ensemble pavillonnaire de Houston (Texas) et se concentre plus particulièrement sur les relations entre un réserviste de l’armée US et une jeune libano-américaine de 13 ans. Alan Ball dissèque également les rapports familiaux en mettant le doigt sur les règles strictes que le père inflige à sa fille et provenant de l’éducation et de la religion de celui-ci. Le racisme bouffe finalement cet homme qui refuse que sa fille soit libre. Il la cloisonne et la malmène, et à l’image des Etats-Unis qui ont fait de même avec la population noire de Los Angeles, il obtient l’inverse de ce qu’il espérait, sa fille ne cherchant que plus encore à se libéraliser toute seule ce qui la conduira droit vers le drame…

Regards sur les étrangers

Deauville pose enfin un regard hors des frontières américaines. Dans « Johnny Mad Dog », Jean-Stéphane Sauvaire dresse un portrait inquiétant sur les enfants soldats au Libéria où près d’un jeune sur dix aurait été enrôlé dans l’effort de guerre entre 1989 et 2003. Il aura fallu toute la brutalité des images et des mots, il aura fallu toute l’énergie et l’inquiétante violence de vrais jeunes libériens, pour l’occasion acteurs, pour porter de manière grandiose aux yeux du public cet infernal témoignage vérité. Et dire que c’était hier… En Afrique toujours, et comme un contrepoint à ce film, Christian Karim Chrobog nous livre « War child », le portrait d’Emmanuel Jal, ancien enfant soldat de la guerre civile du Soudan, aujourd’hui devenu un musicien reconnu sur la scène internationale du hip-hop, en passant par les Etats-Unis. Pour son documentaire, Christian Karim Chrobog le suit de retour dans son pays d’origine, ce qui réveillera chez ce jeune survivant de la guerre d’innombrables souvenirs et qui pourra éveiller en nous l’espoir que tout est possible pour chacun d’entre nous...

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Mathieu Payan Envoyer un message au rédacteur