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ZOOM SUR UN THÈME : LES EMBOUTEILLAGES AU CINÉMA

L'été arrive, avec son cortège de bouchons sur la route des vacances. Heureuse coïncidence, ce 24 juin 2015, ressort un grand classique du cinéma italien : "Le Grand Embouteillage" de Luigi Comencini. L'occasion était toute trouvée pour revenir sur des grands moments d'embouteillages au cinéma. Au lieu de rester coincé dans sa voiture, mieux vaut se délecter de ces scènes d'anthologie. Pour notre plus grand plaisir de cinéphile (quelque peu sadique), voilà donc 8 bonnes raisons de profiter des vicissitudes de la circulation sans en subir les inconvénients !

 

V'là la flotte (1928) de James Parrott

À une époque où le parc automobile était beaucoup plus limité qu'aujourd'hui, les embouteillages étaient probablement assez rares, ce qui fait sans doute de ce film un des premiers (si ce n'est le premier) à mettre en scène un bouchon au cinéma. James Parrott signe alors l'un de ses nombreux courts métrages mettant en scène le célèbre duo Laurel et Hardy. Avouons-le, cet opus a plutôt mal vieilli et décroche au mieux quelques sourires au spectateur actuel. Néanmoins, il y a une certaine jubilation à voir cet ancien modèle de « pétage de plomb », généré par une surenchère de vengeances matérielles entre automobilistes (évidemment initiées par les deux maladroits compères), sur le principe du proverbe « œil pour œil, dent pour dent ». Durant la deuxième moitié de ce court métrage de 22 minutes, on assiste donc au dépeçage progressif des véhicules, jusqu'à l'intervention d'un agent de police (dont la moto ne résiste pas au carnage) suivi d'une brève course-poursuite qui se termine dans un tunnel ferroviaire.

Raphaël Jullien

 

Playtime (1967) de Jacques Tati
Jacques Tati a toujours pris pour cibles les objets de consommation, et les véhicules ne font pas exception. Quelques années avant de consacrer un film entier à ce sujet ("Trafic", 1971), il agrémente ponctuellement sa récréation filmique "Playtime" de touches automobiles, comme lorsque son personnage principal, au début, éprouve des difficultés à se faufiler entre les voitures d'un parking. A la fin du film, il met en scène ce qui reste sans doute l'embouteillage le plus poétique de l'histoire du cinéma ! Sur une musique de type fanfare, des véhicules tournent lentement autour d'un rond-point à la manière d'un carrousel. Comme dans ces manèges traditionnels, qui sont majoritairement constitués de chevaux mais pas seulement, Tati incorpore quelques éléments de diversité, avec un bateau (sur une remorque) ou un vendeur de glaces ambulant. En clin d’œil aux chevaux qui montent et descendent, le cinéaste fait secouer une Citroën 2CV et reproduit aussi le mouvement équin dans le garage auto qui jouxte la route. Par ironie, il permet aux vélos et aux piétons de se faufiler sans problème et en vitesse dans ce doux embouteillage, et transforme malicieusement un parcmètre en module de commande du manège, faisant s'arrêter ou reprendre la musique en même temps que la circulation. Enfin, pour compléter l'ambiance festive, quelques ballons de baudruche apportent des couleurs à la grisaille dominante. Comme souvent grâce à Tati, l'enfance reprend le pouvoir !

Raphaël Jullien

 

Week-end (1967) de Jean-Luc Godard
S'il y a bien une chose que l'on ne peut pas reprocher à Jean-Luc Godard, c'est d'avoir transformé le concept de « filmographie » en vaste terrain d'expérimentation. Parce que ce cinéaste autant honni que célébré est avant tout un véritable Géo Trouvetou du langage cinématographique, qui n'hésite jamais à casser les conventions du 7ème Art et à oser de nouvelles approches filmiques. Mais JLG est aussi du genre à lâcher sans prévenir le discours politique et le mash-up expérimental au profit d'un petit film trash et magnifiquement mal élevé. L'anomalie en question s'appelle "Week-end", conçue par son cinéaste comme une comédie « aussi méchante que Hara-Kiri », qui expédie de gros boulets de canon dans les parties intimes d'une France gaulliste et inconsciente. Bref, un ovni totalement taré, dont la réputation doit autant à son irrévérence qu'à un plan-séquence d'anthologie, révélant un embouteillage massif sur une route de province où la voiture de Jean Yanne et Mireille Darc essaie tant bien que mal de se frayer un chemin. Pari technique gonflé pour l'époque (Godard voulait faire « le plus long travelling de l'histoire du cinéma »), mais relevé avec une maestria technique hallucinante. En soi, cette scène est un reflet du film lui-même : un chaos à part entière, sanglant et démesuré, mais au milieu duquel serpente un cinéaste qui expérimente autant qu'il reste fidèle à sa démarche.

Guillaume Gas

 

Le Grand Embouteillage (1979) de Luigi Comencini
Évidemment, c'est LE film d'embouteillage par excellence, puisque les personnages n'ont que quelques minutes de répit au début, avant que ne débute le bouchon du siècle ! Comencini prend les problèmes de circulation à Rome comme prétexte pour détourner les codes du huis clos et brosser une satire générale de la société. Face à cet inextricable bouchon qui commence un soir et se poursuite jusqu'au lendemain, tous les travers des êtres humains sont révélés, dans une quasi folie partagée : vol, adultère, machisme et paternalisme, dérives de la société de consommation, viol collectif, hypocrisie de l'engagement politique, lâcheté, opportunisme... Comencini n'épargne rien ni personne, même si, par humour ou par tendresse, il permet aussi à certains personnages et quelques situations de laisser la place à un peu d'optimisme : le marcheur et le cycliste dont la facilité à circuler nargue les automobilistes, la relation qui se crée entre les personnages de Mario et Martina, la communion collective au moment du match de foot... En somme, l'embouteillage devient un véritable concentré d'humanité. Pour le meilleur et surtout pour le pire.

Raphaël Jullien

 

Chute libre (1993) de Joel Schumacher
Quiconque s'est retrouvé dans des embouteillages sait à quel point le conducteur bloqué peut avoir une envie irrépressible d'abandonner son véhicule et de continuer à pied. C'est exactement le point de départ de "Chute libre" mais, contrairement à tout le monde, William Foster (Michael Douglas) suit ses pulsions jusqu'au bout ! La voiture du personnage devient alors comme une sorte de cocon, qui transforme l'homme-larve (un chômeur divorcé) en monstre ambulant (un véritable homme de combat que rien n'arrête). Dès lors qu'il sort de ce cocon, le personnage va progressivement s'enfoncer dans la ville et dans un comportement de plus en plus violent et désinhibé. Ce pétage de plomb lui vient des tripes, à tel point que Schumacher débute son film en partant de la bouche de Michael Douglas, comme si la caméra, issue de la respiration haletante du personnage, anticipait un hurlement libérateur que le personnage essaie encore de retenir malgré les conditions. La caméra filme ensuite l'environnement immédiat de Foster, tournant autour du véhicule dans une sorte de vertige. La scène multiplie les éléments qui font de l'embouteillage une véritable étuve (sueur, fumée, mouches...), insiste sur les gros plans et accentue le caractère insupportable de la situation par le traitement du son, qui se focalise tour à tour sur différents éléments agaçants (cris, radio...) et qui s'accompagne d'une musique angoissante (avec notamment des cuivres qui répondent aux klaxons). La chrysalide qu'est l'embouteillage accouche donc d'une folie qui s'emparera du personnage de façon crescendo. Comme le laboratoire d'un savant fou dont la créature lui échappe. Mais qui est le savant fou ici ? William Foster lui-même ou la société qui a engendré des situations aussi artificielles qu'exaspérantes ?

Raphaël Jullien

 

Men in Black (1997) de Barry Sonnenfeld
Adaptation réussie d’un comic book par un habitué du genre, le premier "Men in Black" reste encore aujourd’hui un modèle de comédie, son rythme imparable étant entièrement assujetti à un tempo très bédé (un plan/une case, une réplique/une bulle) et une générosité qui fait toujours mouche. Reste que l’abattage des comédies ne serait rien sans la mise en scène au diapason de Barry Sonnenfeld qui, à l’instar de ses deux "Familles Adams", ose parfois pousser le bouchon un peu trop loin, pour notre plus grand plaisir. C’est ainsi qu’il orchestre cette hilarante séquence de l’embouteillage en plein tunnel, alors que, dans les chaussures du personnage de Will Smith, nous en sommes encore à découvrir cet « autre » monde qu’est celui des Hommes en noir. Il suffira d’une pression sur un mystérieux bouton rouge pour que la voiture conduite par Tommy Lee Jones se transforme en ersatz de la Batmobile, pour mieux s’en aller rouler au plafond du tunnel. Un sommet de drôlerie, et une sacrée surprise à l’époque de la sortie du film, pour une manière originale, et furieusement geek, d’échapper à un embouteillage.

Frédéric Wullschleger

 

The Truman Show (1998) de Peter Weir
Avec leur "Truman Show", Peter Weir et son scénariste Andrew Niccol inventent l'embouteillage artificiel qui apparaît ou s'évapore en quelques secondes ! Il intervient à un moment-clé de l'histoire : quand Truman montre à son épouse qu'il est pleinement conscient des bizarreries et des incohérences du monde dans lequel il vit, même s'il n'en cerne pas encore le sens ni la portée. Le personnage de Jim Carrey se comporte de façon exubérante, un peu comme s'il était contaminé par l'absurdité du lieu, dans une folie feinte qui permet de souligner un peu plus l'anormalité de la situation. Le bouchon devient alors un symbole des émissions de télé-réalité que le film dénonce : un horizon bouché et une vie statique. Pour s'en échapper, contrairement à un embouteillage lambda, le personnage doit ruser, en faisant croire à ceux qui le contrôle qu'il est décidé à faire demi-tour... avant de se raviser ! Dans cette scène, le personnage revendique une totale liberté de mouvement en étant imprévisible. Son remède miracle : la spontanéité, qu'il clame haut et fort. Ironiquement, cet embouteillage participe donc à l'émancipation progressive du héros. Métaphoriquement, il est à Truman ce que le mur est à tout prisonnier ou migrant clandestin : un obstacle à la liberté, pas un barrage incontournable.

Raphaël Jullien

 

World War Z (2013) de Marc Forster
Marc Forster ne perd pas de temps et nous gratifie, après à peine cinq minutes de film, d'une énorme scène d’embouteillage en plein centre-ville de Philadelphie. C'est précisément cette scène qui constitue la dernière expérience « normale » de nos héros avant que le monde ne sombre dans le chaos. Dès la deuxième scène, ça donne le ton direct. D’autant plus que cet embouteillage arrive peu après un générique rendu envoûtant par la musique stellaire de Matthew Bellamy et de ses deux compères de Muse – "Isolated System". A partir de cet embouteillage, tout ne sera que courses-poursuites et situations de crise. Nous voilà donc dans une voiture au beau milieu d’un bouchon monstrueux en plein cœur de Philadelphie. C’est à ce moment-là que ça dégénère complètement. Et cet embouteillage-là n’a rien d’un chassé-croisé de juillettistes et d'aoûtiens : les sirènes hurlent, les explosions retentissent, les flics se font dégommer au camion-poubelle, puis c’est au tour des voitures ; et au milieu de tout ça, Gerry (Brad Pitt) et sa charmante petite famille. Cette scène nous plonge sans prévenir au beau milieu des zombies dans une situation pour le moins compliquée : pas d’arme, deux gamines terrifiées à emmener en sûreté et des morts-vivants qui courent un peu partout. Non il n’y a pas à dire, notre ami Gerry ne partait pas gagnant. Et c’est un peu ça pendant tout le reste du film. Mais on se rend vite compte que le chaos et les courses-poursuites sont des domaines que maîtrise assez bien Gerry. Aucun doute possible, c’est dans cet embouteillage que "World War Z" devient "World War Z", avec 200 à 700 figurants qui hurlent ou poussent des râles. Une scène d’action comme on les aime qui lance à deux cents à l’heure un film de zombie très réussi qui nous emmène au quatre coins du globe, pour essayer de sauver l’humanité.

Adrien Verot

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