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DOSSIERIl était une fois

IL ÉTAIT UNE FOIS… The Blade, de Tsui Hark

La rencontre était fatalement attendue, et peut-être redoutée. Mais inévitable. Cela devait arriver. Celui qui était alors le maître incontesté du cinéma hongkongais se devait de croiser un jour la trajectoire du légendaire sabreur manchot, pierre angulaire du cinéma de l’ancienne colonie britannique. Mais forcément, le résultat ne pouvait être autre chose qu’explosif et définitif, révolutionnaire et crépusculaire à la fois. Car Tsui Hark, authentique génie de la pellicule, n’a jamais rien fait comme les autres.

LE « SPIELBERG » CHINOIS

De ses débuts anarchiques au tournant des années 70 et 80 (la fausse trilogie turbulente "Butterfly Murders", "Histoire de cannibales" et "L’Enfer des armes") à cette « lame » (c’est la traduction du titre original – "Dao") férocement crépusculaire, Tsui Hark se sera imposer durant 16 ans (et 24 longs-métrages !) comme le grand manitou du cinéma de Hong Kong, lançant la carrière de John Woo (les deux premiers "Syndicat du crime", le cultissime "The Killer"), et produisant ou réalisant quelques uns des plus grands classiques du cinéma de genre local (les "Histoires de fantômes chinois", "Zu, les guerriers de la montagne magique", les "Il était une fois en Chine"). Lorsqu’il s’attelle à ce qui reste l’un des ses meilleurs films (avec le sublime "Green Snake" et l’explosif "Time and Tide"), Tsui Hark vient de réaliser l’excellente comédie culinaire "Le Festin chinois" et la romance "Dans la nuit du temps", et semble vouloir porter son art dans ses ultimes retranchements. Et c’est en revenant au genre emblématique du wu-xa-pian (film de sabre chinois), et en puisant dans les racines mêmes dudit genre, que le cinéaste va pouvoir opérer sa formidable (r)évolution.

 

LA LÉGENDE DU SABREUR MANCHOT

Produit par la mythique firme Shaw Brothers en 1967, "Un seul bras les tua tous" est la première aventure du sabreur manchot, et voit le jour devant la caméra du tout aussi mythique Chang Cheh, interprété ici par celui qui deviendra indissociable du personnage, le génial Jimmy Wang Yu. Un wu-xa-pian ultra-violent calqué sur une basique histoire de vengeance, et qui doit son succès à l’incroyable inventivité de ses scènes de combat. Le film est un triomphe, et installe directement le personnage au panthéon des héros cinématographiques du cinéma hongkongais. Deux ans plus tard, Chang Cheh et Jimmy Wang Yu remettent le couvert avec le jouissif "Le Bras de la vengeance", avant que le cinéaste ne se décide à clore sa saga, en 1971 et avec le plus jeune David Chiang dans le rôle principal, avec le magistral "La Rage du tigre", peut-être le film le plus connu – et le plus tragique et jusqu’au-boutiste – des trois. Dès lors, diverses déclinaisons du mythe se succéderont à l’écran, jusqu’à ce que Tsui Hark, dans un accès de rage destructrice/créatrice, ne s’empare du héros pour l’amener sur des territoires encore inexplorés.

 

LE BRAS ARMÉ DE LA COLÈRE

Ce qui frappe de prime abord dans cet hallucinant morceau de bravoure qu’est "The Blade", c’est que dès la première image, Tsui Hark assume les aspects les plus « contes » de son film, créant de facto un monde coupé de toute réalité historique, n’existant que par et pour les drames qui s’y déroule. Sur le papier, le film reprend les grandes lignes du classique de Chang Cheh, en envoyant un jeune sabreur devenu manchot à la recherche de celui qui l’a mutilé et, comme le révèle un rougeoyant flash-back à la théâtralité assumée (en plein combat, les personnages s’arrêtent pour prendre la pose face à la caméra), assassiner son père. La vengeance est un ressort dramatique classique, mais en évitant tout romantisme, Tsui Hark n’en garde que les aspects les plus noirs, les plus violents, les plus destructeurs. Car dans le monde de "The Blade", la barbarie règne et seuls les plus forts ont droit à la survie.

 

DES COMBATS BRUTAUX, HYSTÉRIQUES

Même en démarrant son récit avec une amitié forte et un soupçon de romance, Tsui Hark ne met pas longtemps à plier les composantes de son personnage principal, interprété ici par l’excellent Chiu Man-cheuk ("Dr Wong contre les pirates"), à ses envies de destruction/reconstruction. Et c’est au cœur même du film, lors de ses scènes de combats, que la note d’intention se fait plus manifeste. En contant, en 1991 et 1992, les aventures du héros national Wong Fei Hung, Tsui Hark avait fait montre de tout son talent pour les arts martiaux chorégraphiés à la perfection, l’incroyable puissance des climax d’"Il était en fois en Chine", et surtout de sa formidable suite "La Secte du lotus blanc", ayant retourné le cerveau de tous les amateurs du genre. Dans "The Blade", les combats se font beaucoup plus brutaux, beaucoup plus hystériques, la caméra à l’épaule captant avec un sens imparable du cadrage « à l’arraché » le chaos de chorégraphies excessivement sanglantes et dénuées – ou presque – de toute la fantaisie habituelle au film de sabre chinois.

 

TSUI HARK CHEZ LES RICAINS

À la fois tentative de recréation d’un mythe, œuvre terminale d’un genre emblématique et manifeste esthético-narratif d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens, "The Blade" peut véritablement être aujourd’hui considéré comme une date dans l’histoire du cinéma de Hong-Kong, comme "La Horde sauvage" avait pu l’être pour les États-Unis en 1968. Peut-être arrivé au bout de son parcours d’alors, et comme en attente de trouver de quoi se surpasser à nouveau, Tsui Hark s’en ira faire le zouave chez les Ricains avec Jean-Claude Van Damme. Il faudra donc attendre cinq ans pour que le Maître chinois ne s’en retourne chez lui, et se rappelle à notre bon souvenir par le biais de ces deux uppercuts filmiques que sont "Time and Tide" et "La Légende de Zu". Mais ça, c’est une autre histoire…

 

Frederic Wullschleger Envoyer un message au rédacteur