Banniere_11_films_de_separation_Saint_Valentin

LES JEUX DES NUAGES ET DE LA PLUIE

Un doux orage pour un premier film très prometteur

Six personnages se croisent durant une nuit pluvieuse, en quête d’amour et d’un sens à donner à leur vie : un homme d’affaire chinois et son épouse infidèle, un détective privé chargé de surveiller cette dernière sur ordre du premier, un couple de magiciens à la dérive, et une serveuse complètement dépassée par sa situation personnelle et professionnelle...

En considérant les grandes lignes du scénario, cette histoire croisée n’a pas grand-chose d’exceptionnel en apparence et on pourrait flairer une odeur de déjà-vu : des enjeux d’adultère et de solitude qui s’imbriquent, comme un puzzle à six têtes. Heureusement, Benjamin de Lajarte ne se limite pas à un traitement conventionnel de ce type d’histoire chorale. Il fait notamment deux choix judicieux : concentrer son film en une seule nuit et faire intervenir des personnages de cultures différentes. Les trois langues utilisées (français, chinois et anglais) se croisent autant que les personnages, accentuant les difficultés de communication inhérentes aux relations humaines, voire l’inéluctable solitude de chaque individu. Ce multilinguisme, un des atouts majeurs du film, est au centre de quelques-unes des meilleures scènes, comme celle où Jones utilise un service de traduction par téléphone pour parler à Li Qin (une des meilleures utilisations d’un téléphone au cinéma depuis longtemps !), ou encore celles avec Ninon et Lao Sheng.

Cet aspect multiculturel souligne aussi l’influence manifestement internationale du réalisateur, qui semble convoquer tout autant le cinéma français que ceux d’Asie et d’Amérique, mais aussi la littérature américaine ou la peinture d’Edward Hopper. Les références à ce dernier sont d’ailleurs assumées de façon frontale dans les décors et la lumière – une autre réussite magistrale. Esthétiquement, le choix de la nuit pluvieuse devient un véritable pont entre ces influences multiples, l’atmosphère tenant tout autant du film noir que des traditions asiatiques. Comment ne pas trouver d’ailleurs dans le titre un hommage doucement poétique, à des œuvres telles que « Les Contes de la lune vague après la pluie » de Mizoguchi ? En fait, le réalisateur reprend d'ailleurs un symbolisme de la littérature érotique chinoise, dans laquelle les « jeux des nuages et de la pluie » (Yun Yu Shi) désignent l’accouplement !

Dès son premier long métrage, Benjamin de Lajarte insuffle ainsi au cinéma français quelque chose de revigorant dans le style. Il parvient aussi à réunir des acteurs d’horizons très variés et à diriger cet ensemble avec un talent certain. L’inconnu John McLean mérite de ne pas le rester, Simon Yam démontre qu’il peut exercer son talent en-dehors des frontières sino-hong-kongaises, Hiam Abbass incarne à la perfection son rôle de femme vieillissante, Alain Chamfort fait honneur à son statut de néophyte du grand écran, Audrey Dana offre sans doute une de ses meilleures prestations et Li Heling (autre inconnue) ne démérite pas non plus. Certes, tout n’est pas parfait : on peut regretter quelques faiblesses dans le rythme, et la scène onirique entre Jones et son voisin de chambre ne convaincra pas tout le monde. Mais le réalisateur faite preuve d'un évident amour du cinéma dans tous ses détails. Les cinéphiles peuvent se régaler et attendre impatiemment la suite de sa carrière.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT

Laisser un commentaire