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CABEZA DE VACA

Un film de Nicolas Echevarria

Un film qui prend au trip

En 1528, Alvar Nuñez Cabeza de Vaca accoste sur la rive de la future Floride à bord d’une expédition de plus de 500 hommes. Décimés en grande partie par les maladies et la faim, les membres de l’expédition se réduisent bientôt à quatre prisonniers. Parmi eux, Alvar devient l’esclave personnel d’un sorcier chamanique dont il apprend les secrets mystiques, avant d’être affranchi et de débuter une longue traversée jusqu’au Pacifique, semant sur son parcours une série de miracles…

L’expérience géographique et spirituelle de cet homme extraordinaire que fut Cabeza de Vaca, qui erra de l’actuelle Floride jusqu’à la Californie en huit ans, a été relatée, en 1990, par Nicolas Echevarria, auteur de documentaires sur les pratiques magiques et rituelles d’Amérique latine. Étrangement, ce premier long-métrage très réussi, produit et tourné au Mexique, a mis plus de temps pour parvenir jusqu’à nos contrées qu’Alvar Nuñez n’en aura mis pour traverser la plus grande partie du territoire nord-américain ! Cette ellipse dans le temps est d’autant plus curieuse que le film jouit dans son pays d’une réputation favorable. Il faut croire que « Cabeza de Vaca » appartient à un autre âge, comme provenant en ligne droite des années soixante / soixante-dix et de l’écurie déjantée d’un Jodorowsky – ses personnages, ses situations, ses décors procurant parfois le même malaise que « Fando et Lis » ou « Santa Sangre ». Parce que Nicolas Echevarria a fait le choix radical d’une esthétique austère et illuminée. Parce qu’il a choisi de plonger ses comédiens au cœur de décors épurés et naturels, dans un environnement peuplé de chamans et d’effluves hallucinogènes. Arte, qui en a acquis les droits en 1991 au sortir du festival de Berlin, a opté par une diffusion télévisée ; ED Distribution a aujourd’hui décidé de passer la frontière du grand écran.

Alvar Nuñez Cabeza de Vaca – « tête de vache », en français – étant à la fois un personnage de fiction et un aventurier historique, Echevarria a dû composer avec les contraintes de la fidélité narrative, afin de livrer un portrait synthétique et cohérent à la fois. Il a donc opéré des coupes drastiques dans le récit qu’en a fait Cabeza de Vaca en personne, dans une relation au Roi d’Espagne, pour mettre en relief l’aspect spirituel : apprentissage du chamanisme, rituels ésotériques, dépouillement physique et mental du personnage, production de miracles au cours de son long trajet vers l’Ouest… Le parcours du trésorier devenu sorcier s’apparente à un cheminement philosophique dont le but serait de circonscrire un peu du sacré qui nous entoure.

Pour relater ce cheminement, Echevarria use de plans longs, souvent immobiles, qui traduisent l’état d’esprit d’un conquistador sûr de ses valeurs culturelles et religieuses. Des plans indolents, presque engourdis par la brume, posés comme des rochers en équilibre sur les tumulus des us et coutumes de l’Ancien monde. Ils sont les manifestations esthétiques de l’évolution d’un être organique vers un pur esprit, quasiment dénué de son corps devenu trop lourd à porter, presque nu, presque indifférent aux effets de l’environnement – un Espagnol soi-disant « supérieur », fier de son pays et de son Dieu, qui subit les détériorations de son corps à mesure que son esprit grimpe les échelons de la spiritualité. On pense fugacement au « Aguirre » d’Herzog, à Klaus Kinski tournant en rond sur un radeau à la dérive. On se rappelle l’hypnotique séquence du « Médée » de Pasolini qui voit un homme être sacrifié publiquement puis découpé en morceaux. L’acteur espagnol Juan Diego s’est tout entier voué à devenir une projection hallucinée d’Alvar Nuñez, comme s’il voulait moins donner à voir le conquistador que son spectre évanescent. En ce sens, « Cabeza de Vaca » ne cherche pas à reproduire l’Histoire, mais à en produire une image impalpable. Ce n’est donc pas la vérité qui est à quêter dans ce beau film, mais une forme de spiritualité exotique inédite.

Au terme de son chemin, rejoignant une colonie d’Espagnols, Alvar, ce Christ chamanique, finit par ne plus reconnaître la foi des siens, refusant de participer à l’élévation d’une cathédrale. Refusant d’élever le symbole d’une croyance désuète à ses yeux. Le dernier plan, énigmatique, se fait la parabole d’une Passion christique absurde, où une troupe d’esclaves indigènes transporte une immense croix chrétienne au son d’un tambour, sur fond d’éclairs montagneux. Le dernier pied de nez du réalisateur à la relative toute-puissance religieuse des conquistadors chrétiens, et point d’orgue d’une œuvre déroutante, mais édifiante.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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