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LES CHANSONS QUE MES FRÈRES M’ONT APPRISES

Un film de Chloé Zhao

Une introspection familiale contemplative et minimaliste

Johnny et sa petite sœur Jashaun vivent seuls avec leur mère dans une réserve indienne du Dakota du Sud. Ce territoire, régi par ses propres lois, n’offre guère d’avenir au jeune homme qui envisage de suivre sa copine à Los Angeles pour tenter de gagner sa vie autrement qu’en trafiquant de l’alcool…

Faible dédommagement d’une des invasions les plus destructrices de l’histoire, les réserves indiennes représentent aujourd’hui les dernières souches de nombreuses tribus nord-amérindiennes. Isolées et renfermées sur elles-mêmes, elles sont souvent exposées à une grande misère sociale. Johnny et Jashaun vivent dans l’une des plus pauvres des États-Unis : Pine Ridge dans le Dakota du Sud, fief du clan des Oglalas.

Oglala, en langue lakota, signifie « ils se dispersent ». Un qualificatif qui correspond bien à cette communauté qui autorise la polygamie et qui en use largement, puisque le père de Johnny et Jashaun a épousé une dizaine de femmes avec qui il a eu 25 enfants. Ce père, forcément absent, va mourir brutalement dans l’incendie de sa maison au moment où Johnny s’apprête à quitter la sienne. Ces événements provoquent un double déchirement pour Jashaun qui tente de combler ce vide en éprouvant un besoin viscéral de renouer avec ses racines. Elle se rapproche de ses demi-frères, qu’elles envient d’avoir vécu sous le même toit que son père. Elle danse le pow wow, une danse traditionnelle qui, avec le rodéo, représente le seul loisir de la communauté. Et c’est auprès d’un tatoueur dont la passion est de customiser les vêtements que la jeune fille tentera de trouver un père de remplacement.

Le portrait de Johnny et Jashaun est loin d’être autobiographique pour cette jeune réalisatrice chinoise qui vécut à Pékin jusqu’à ses 14 ans. Passionnée par la communauté de Pine Ridge, cette dernière s'est immergée quelques années dans cette réserve avant de réaliser son film. Néanmoins, malgré cette expérience, Chloé Zhao s’est laissée porter par l’improvisation, en écrivant au jour le jour son script au gré du tournage. Pour l’anecdote, l’incendie qui provoque la mort du père a réellement eu lieu dans la maison de Jashaun St. John, la comédienne non professionnelle qui interprète la petite sœur, et ce sont ses propres objets qu’elle tente de récupérer au milieu des cendres.

Cette absence de régularité dans le scénario laisse la part belle à la contemplation. Souvent, les paysages bruts et authentiques de la réserve absorbent les protagonistes dans de larges angles de vue. Un discours minimaliste qui malgré la beauté des images et la poésie qui s’en dégage ne suffit pas à provoquer l’émotion. Au contraire, on en ressort avec une étrange sensation de déjà-vu tant le film répond aux clichés du cinéma indépendant US estampillé Sundance : analyse linéaire de personnages en marge de la société photographiés sous une lumière à contre-jour. Figé dans ce style arty, "Les chansons que mes frères m’ont apprises" séduit par son atmosphère mais ne provoque pas l’étincelle qui le ferait sortir du lot. On regrette de ne pas être plus impliqué dans le ressenti de son héros confronté à un réel dilemme : rester auprès de sa petite sœur qu’il aime tant ou tenter d’avoir une vie meilleure loin de cette terre condamnée par la misère.

Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur

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