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TOUT EST FAUX

Retour à l'humain

Un homme marche au cœur de cette ville grouillante et foisonnante qu'est Paris. Il se fait alpaguer par un dealer qui semble le connaître et qui lui déverse un flux continu de paroles pour tenter de lui vendre sa came. Après plusieurs minutes de speech, lors d'un bref moment d'accalmie, notre homme lui montre son ras le bol en lui décrochant un coup de poing en pleine figure. Tout est faux...

Fred fait partie de cette majorité silencieuse (oui, il y en a plus qu'on ne le croit, en ce bas monde) observant jour après jour la perte de sens de nos sociétés modernes, peuplées d'humains 2.0 hyper-connectés à leurs machines, parfois même agissant telles des machines, qui ont finalement perdus le sens de l'humain. Bien que taciturne et pas vraiment avenant, Fred, lui, l'a toujours gardé cette fibre humaine et tente tant bien que mal de se trouver une place dans ce monde de mascarades, entre beaux-parleurs, communicants politiques tentant de séduire la masse pour lui en mettre pour cinq ans, et même une séduisante jeune femme qui sait pertinemment qu'elle est irrésistible avec qui il entretient une relation fallacieuse. Comme la majorité, il a un boulot alimentaire (comprenez un travail sans aucun sens mais qui le fait manger) et reste intrigué par ce singulier marginal auquel personne ne prête attention et qui s'évertue à gueuler une diatribe anticonformiste et altermondialiste. Peut-être est-ce ce discours qui va le réveiller et le pousser à arrêter de subir ce monde qui n'est pas fait pour lui, ou est-ce plutôt l'amour qu'il pourrait trouver avec la jeune femme de la laverie qui semble câblée comme lui et qui lui offre une véritable attention ?

Premier long-métrage de Jean-Marie Villeneuve (non, aucun lien avec le canadien) et auto financé à hauteur de 2000 euros puisqu'aucune institution de financement n'a bien voulue investir (les films expérimentaux critiquant le système ne doivent pas vraiment être vendeurs…), "Tout est faux" fait de son manque de moyen une singularité avec laquelle le réalisateur joue. Chaque lieu ou objet est un symbole. Le plus évident reste le lieu de travail, cette petite cellule où Fred est accueilli par une voix robotisée représentant un manager qui n'en a rien à carrer du management (humain) et dans laquelle il reçoit coups de fils sur coups de fils (dans un mode de communication très top-down puisqu'il ne fait qu'acquiescer et n'a visiblement jamais son mot à dire) pour ensuite marquer des symboles dénués de sens sur des post-it. La bureaucratie dans toute sa splendeur… Mais nous avons également l'objet télévision qui nous démontre au cours de courtes séquences de zapping qu'elle est un formidable vecteur pour séduire et endoctriner la masse via les courants de pensées les plus en vogue et que nos dirigeants se font un plaisir d'utiliser (surtout en période électorale) pour notre plus grande scepticisme.

Dans le film, les personnages aussi sont des symboles, voire même des stéréotypes. Chacun représente un type de population même si la palette n'est pas large (et elle n'a pas besoin de l'être). Du tchacheur vendeur (le dealer interprété par un Hugo Malpeyre, assez impressionnant) au tchacheur charmeur (interprété par Sebastien Novac au regard mi-intriguant, mi-effrayant) qui tente dans une démonstration d'assurance de séduire Marie, archétype de la charmante fille qui s'écoute parler de ses histoires sentimentales, pour laquelle on a le béguin mais avec qui on restera tout juste copain, ou encore le l'impétueux homme d'affaire pétant plus haut de son cul, croyant qu'il possède certaines dalles du trottoir. Il y aura aussi celui qui représente la minorité bruyante mais manquant de moyens ou de média pour se faire entendre et cette femme rencontrée à la laverie. Simple et pétillante, elle cherche juste le contact, sans fioriture.

Tout au long du film on suit Fred observant, écoutant, le monde qui l'entoure. "Tout est faux" est plutôt expérimental et sort donc des sentiers battus en terme de narration, ce qui peut dérouter voire exaspérer le spectateur peu habitué. Les séquences se répètent pour montrer le caractère routinier de nos existences, mais aussi pour faire sentir l'évolution de Fred qui commence à se faire jour. On peut trouver ce procédé lourd mais il est nécessaire pour ressentir l'empathie envers un personnage aussi taciturne et lunaire que Fred. Rares sont les dialogues, excepté lors des séquences avec Marie et l'homme du pont, mais il s'agit plus de monologues que d'échanges. C'est d'ailleurs le principal reproche que l'on peut faire au film : les rares moments propices à l'échange sont éludés (notamment dans la naissance de la relation avec la fille de laverie) alors qu'ils auraient probablement aidé à donner corps aux relations. Néanmoins, le film parvient à s'envoler dès lors qu'il prône le retour à l'authentique et désintéressé contact humain. Car c'est le retour à l'Humain qui nous sauvera de l'aliénation. Rien d'autre.

Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur

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