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SEUL SUR MARS

Un film de Ridley Scott

Cultiver l’espoir pour garder la patate… ou l’inverse !

Une violente tempête oblige une équipe d’astronautes à décoller de la planète Mars, mettant ainsi fin à leur expédition. Or, l’astronaute Mark Watney, laissé pour mort durant la tempête par ses coéquipiers, est toujours vivant, désormais seul sur la planète rouge. Les seuls secours se trouvant à 225 millions de kilomètres, il ne doit plus compter que sur son ingéniosité et ses talents de biologiste pour survivre dans ce milieu hostile. Pendant ce temps, la NASA et ses anciens coéquipiers font le maximum pour le sauver. Mais arriveront-ils à temps ?

Il est enfin revenu ! Après deux décennies calamiteuses à enchaîner les gamelles édifiantes et les blockbusters navrants, Ridley Scott retrouve enfin toute sa superbe au travers d’une version martienne de Robinson Crusoë. Un canevas que l’on ne peut s’empêcher de mettre en corrélation avec le chemin de croix récent de ce cinéaste aussi intriguant qu’inégal, longtemps célébré pour "Alien" et "Blade Runner" avant que le triomphe de "Gladiator" ne l’embarque dans une pente délicate, laissant à peine traîner deux projets fascinants ("Cartel" et "La Chute du Faucon Noir") au beau milieu d’un panier de produits quelconques (avec le catastrophique "Exodus" comme point culminant de cette descente aux enfers). Avec "Seul sur Mars", le frère aîné à Tony met son pas sur celui de son protagoniste : menacé de disparition définitive dans un environnement devenu hostile, il lui faut désormais passer par la mise en pratique de ses – meilleurs – acquis et la maîtrise de ses talents les plus insoupçonnés.

Petite alerte pour calmer les spectateurs un peu trop excités par la bande-annonce : loin des velléités métaphysiques d’"Interstellar" ou du symbolisme intime de "Mission to Mars", ce voyage spatial n’est en fin de compte qu’une pure série B, tenue d’un bout à l’autre par la logique de survie de son héros, où l’ingéniosité de ce dernier supplante toute sorte de propos philosophique sous-jacent. On aura bien quelques zestes de mélancolie contemplative, surtout au détour de quelques travellings circulaires qui confrontent notre astronaute isolé à l’immensité du désert martien autant qu’à son statut de « premier conquérant » des lieux qu’il visite sur la planète rouge. De plus, on pourra renouer avec le vertige des conditions de l’être humain en milieu spatial, au détour d’une poignée de plans virtuoses en apesanteur. Mais globalement, tout tient ici dans une idée-maîtresse : un astronaute seul sur Mars doit mettre à profit ses facultés de botaniste (vive la science !) et jouer les MacGyver pour retarder le plus possible une mort programmée d’ici une trentaine de jours, le temps que la Terre prépare et envoie une expédition de sauvetage pour le récupérer…

Solidaire dans le fond bien que solitaire dans les faits, ce personnage que l’on ne quitte quasiment jamais devient ici le vecteur d’une double quête humaniste. D’une part, un magnifique appel à ne jamais baisser les bras, à persévérer coûte que coûte contre les éléments qui imposent leur menace, à faire preuve d’ingéniosité et de sang-froid pour mieux contrer sa propre paresse et maîtriser sa peur. Sur une planète où rien ne pousse, voilà qu’un astronaute trouve le moyen de faire pousser des patates en se servant de ses excréments comme terreau, réussit à produire de l’eau en exploitant le plus possible les vertus de l’hydrogène et du bois d’un crucifix, utilise le code ASCII et le langage hexadécimal pour communiquer avec les technologies terrestres, etc. Un vrai geek, optimiste devant l’éternel, dont les talents cachés tendent ici à effacer les lois martiennes et à dévoiler une âme réelle de conquérant, triomphant des pires embûches et des pires imprévus avec un tempérament de feu.

D’autre part, la très grande force du film provient surtout du désir de laisser la profondeur se faire remplacer sans ménagement par une bonne humeur communicative. Encombré de musique disco qu’il écoute à grands renforts de sarcasmes joyeux (entre Hot Stuff de Donna Summer et Waterloo d’ABBA, difficile de garder son sérieux !), distributeur décontracté de fous rires, blagueur insoupçonné qui se la pète dans la joie et la bonne humeur, authentique tête brûlée qui prend tous les risques en gardant toujours le sourire, Mark Watney fait se rejoindre la science et la conscience en optant pour un ton enjoué, positif, pour ne pas dire totalement galvanisant.

En adaptant un roman globalement bâti selon un principe de journal de bord, le scénariste Drew Goddard a trouvé la parade idéale en intégrant le strict nécessaire en matière de didactisme scientifique et en laissant le caractère optimiste de son héros prendre le dessus jusqu’au bout. On vibre avec lui comme on s’éblouit de chacune de ses victoires. On flippe avec lui parce qu’on se sent proche de lui. Et surtout, on s’embarque avec son équipe d’astronautes fidèles et attachants, prêts à mettre leur vie en danger pour le ramener vivant de la planète rouge, parce que l’on ressent chez eux comme chez lui une chose que nous avons souvent tendance à oublier : cette capacité qu’a l’être humain de vouloir se tourner vers l’Autre, de se rapprocher de lui – y compris au travers d’un écran – et ce dans un pur élan de solidarité universelle. Faire ressentir cet état d’esprit au sein même de ce territoire d’annihilation des lois de la gravité terrestre est sans doute le plus gros coup d’éclat effectué par Ridley Scott sur ce nouveau film. L’espace aura beau tenter d’imposer ses lois, elles ne pourront jamais supplanter notre propension à l’entraide, à la solidarité et surtout à l’espoir.

D’un scénario parfaitement charpenté jusqu’à une mise en scène d’une profonde intégrité en passant par des plans de la planète rouge d’un réalisme littéralement estomaquant, pas un seul faux pas ne vient contredire la recette miracle d’un Ridley Scott qui, en retrouvant enfin le caractère expérimenté qu’il semblait avoir perdu pendant longtemps, effectue ici le come-back le plus inespéré de l’année. Mais plus que tout, on se sent tellement heureux de voir ce film – 2h21 que l’on ne sent jamais passer. Chacun sortira de la salle avec le cœur en montgolfière, heureux d’avoir participé à une expérience aussi immersive que collective, où l’être humain est sans cesse invité à saisir la chance lorsqu’elle se présente et à se tourner vers son prochain pour mieux voir les horizons s’éclaircir, avec la (con)science en bandoulière. Les films capables de faire s’élever une âme sont rares, "Seul sur Mars" en fait partie. Et rien que pour ça, merci Ridley.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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