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OLDBOY

Un film de Spike Lee

Un remake vicieux, too much, faussement inutile

1993. Joe Doucett, mauvais père de famille et businessman sans scrupule, est enlevé un soir sans raison apparente, séquestré dans une cellule verrouillée, et apprend par la télévision qu’il est accusé du meurtre de sa femme… 2013. Après tant d’années à vivre entre quatre murs, Joe est soudainement relâché sans explication. Le moment est venu pour lui de comprendre les raisons de son enfermement…

Autant être aussi direct qu’un bon coup de marteau sur la tronche : on avait toutes les raisons de conchier ce remake du chef-d’œuvre tétanisant de Park Chan-wook. Citons-en trois : le simple désir des producteurs d’épargner au public US la lecture de sous-titres face à la langue du pays du Matin Calme, la tactique honteuse du décalquage intégral de l’œuvre originale, et surtout, le fait d’apprendre que Spike Lee fut dépossédé de son montage d’origine (qui, selon les rumeurs, frôlait les trois heures). En même temps, ne pas voir le traditionnel « A Spike Lee Joint » au générique était déjà un indice qui ne trompait personne. Nous voilà donc dans l’embarras le plus total : d’un côté, juger ce qui s’apparente à un vulgaire copier-coller, et de l’autre, épier la singularité d’un film qui, étrangement, nous fait quitter la salle avec une évidente satisfaction. En fait, que Spike Lee (devenu l’ombre de lui-même depuis le magnifique "La 25ème heure") ait perdu le contrôle en cours de route n’est pas un problème, tant ce qui reste du film appartient à un genre devant lequel il n’est pas interdit de jubiler : la série B hardcore dans la forme et perverse dans le fond.

On le disait donc, le scénariste ne s’est pas cramé les neurones en rédigeant le script, lequel reprend à l’identique le découpage narratif du film original : kidnapping, enfermement, relâche, quête identitaire, rencontre amoureuse, baston au marteau, confrontation, sans oublier la terrifiante révélation finale qui en avait refroidi plus d’un chez Park Chan-wook. Kif-kif, donc ? Faux. Si l’on se souvient qu’"Old Boy" (adapté d’un manga, rappelons-le) avait pour astuce magistrale de bousculer les genres et les tonalités d’une scène à l’autre sans que cela paraisse gênant, ce remake enfonce le clou de façon plus prononcée et accentue la dimension « BD-cartoon » qui épiçait déjà le film original à quelques reprises. Du coup, là où Park Chan-wook accomplissait un fabuleux numéro de funambule en insérant des ruptures de ton permanentes dans chaque scène, Lee ne se préoccupe pas de cela, et se la joue bourrin, volontiers too much dans chaque détail de l’intrigue, aussi bien sur la lecture rédemptrice (avec la religion en filigrane), la violence des scènes-clés (moins extrême au niveau graphique, mais bien plus vicieuse), l’explication finale sur le passé du bourreau ou plus simplement la caractérisation des personnages. Bien sûr, celle-ci souffre du charcutage effectué sur le montage, réduisant alors les figures humains de l’intrigue au rang d’archétypes torturés et/ou barrés, mais ce n’est pas plus mal : cela renforce encore l’aspect fun et décomplexé du film, donnant à l’ensemble un effet percutant, parfois à la lisière de l’exagération, qui prend par surprise bien que l’on connaisse déjà l’intrigue.

Il est d’ailleurs assez bizarre de voir Spike Lee, cinéaste pourtant connu pour son engagement militant, déplacer sur une voie diamétralement opposée le manque de subtilité qui caractérise souvent son cinéma. Ici, pas de quelconque point de vue sur la cause afro-américaine qui viendrait s’intégrer au sein de ce récit de vengeance, pas de militantisme sociopolitique, pas même de critique sur l’Amérique, rien de rien. Même l’apparition-surprise d’un groom noir (laquelle remplace ici l’hallucination des fourmis) n’est ici qu’un détail parmi tant d’autres qui renvoient au film d’origine : la langue tranchée, le poulpe, le parapluie coloré, des ailes d’ange, etc... Pur récit ultraviolent qui ne dévie jamais de son autoroute de cruauté, "Oldboy" joue donc sur un registre sec et épuré, sans réel niveau de lecture existentiel ou symbolique, à l’inverse de son modèle. Spike Lee en arrive même à rendre jubilatoire la scène que l’on redoutait le plus : la fameuse baston en plan-séquence, ici retraitée façon jeu vidéo sur plusieurs étages d’un bâtiment, juste après une torture bien sadique à base de gros sel sur des escarres. Autant prévenir les âmes sensibles !

Techniquement soigné et bourré de plans d’une vraie beauté plastique, à travers une mise en image qui joue aussi bien sur les éclairages au néon que sur les multiplications de cadrages (dont quelques effets inattendus de snorry-cam), "Oldboy" doit également beaucoup à son casting. Mâchoire carrée, visage mutique, sourire absent, colère intériorisée : Josh Brolin est impressionnant de bestialité, et sa prestation tranche très habilement avec celle, plus animale, de Choi Min-sik. Les seconds rôles font honneur à la démarche outrancière de Spike Lee en forçant le stéréotype qu’ils incarnent : la figure de pureté (Elizabeth Olsen), le Méphisto machiavélique et efféminé (Sharlto Copley), le bad guy carnavalesque (Samuel L. Jackson) et le barman en chemise sale (Michael Imperioli). Des prestations inédites quand elles ne sont pas totalement en roue libre, qui prêtent autant à rire qu’à frémir, amenant la perversité du propos vers l’extrême limite du grotesque, et nous mettant même un sale goût au fond de la bouche lorsque survient l’ultime scène, pour le coup très différente de celle que l’on connaissait déjà. En définitive, on avait beau tout savoir de l’intrigue, on s’est quand même fait avoir en beauté, le changement d’approche faisant toute la différence. Tel est l’ultime coup de maître de ce remake : rendre inutile le simple fait de le considérer comme inutile.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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