Banniere_11_films_de_separation_Saint_Valentin

NOTHINGWOOD

Un film de Sonia Kronlund

Ça tourne dans les montagnes afghanes

En Afghanistan, la production cinématographique est dominée par un homme : Salim Shaheen. Ce personnage haut en couleur est passé maître dans l’art de la série Z. Lui et son équipe accumulent les tournages et les projections, n’hésitant pas à braver les dangers d’un pays déchiré par la guerre pour présenter leur derniers films aux populations les plus reculées…

nothingwood-1

Après Hollywood et Bollywood, voici Nothingwood. Tel est le petit nom que Salim Shaheen aime donner à son cinéma, puisqu'il réalise des films toute l’année sans aucun moyen. Passionné depuis son plus jeune âge par les comédies musicales indiennes, l’homme est un boulimique du tournage. Il en dirige souvent plusieurs de front et sa filmographie compte déjà plus d’une centaine de films. Force de la nature, l’homme en impose aussi par son charisme. Une qualité indispensable pour pouvoir faire du cinéma dans un pays meurtri par les conflits. Salim Shaheen a été le seul survivant d’un attentat perpétré pendant son service militaire et lors du tournage de son film « Gardab », il a essuyé un tir de roquette qui a tué dix personnes de son équipe.

Les tumultes de son existence sont une source d’inspiration pour la majorité de ses films, mais aujourd’hui c’est devant la caméra d’un autre cinéaste que Salim Shaheen tient le premier rôle, celle de Sonia Kronlund, documentariste pour Radio France et Arte. Passionnée par l’Afghanistan, la réalisatrice ne s’était penchée jusqu’à présent que sur les blessures les plus douloureuses de ce pays : femmes défigurées, répression tyrannique des talibans… Aujourd’hui, elle veut montrer un autre visage de ce peuple condamné à vivre le pire depuis plus de 30 ans. Le quotidien de Salim Shaheen lui offre cette opportunité mais derrière les bouffonneries et les chansons à l’eau de rose, les affres de la société afghanes transparaissent encore de manière indélébile.

Quand son équipe se déplace, elle est souvent accompagnée d’une patrouille de police et quand la route est trop dangereuse, l’avion reste la seule solution à Salim Shaheen pour projeter ses films dans toutes les régions d’Afghanistan. Sonia Kronlund, l’a suivi dans les différentes étapes de sa tournée : des paysages époustouflants des lacs de Band-e-Amir aux fosses à présent vides des Bouddhas de Bâmiyân, car détruits par les talibans en 2001. Une dissonance qui reflète à quel point ce pays vit constamment sur le fil du rasoir, opprimé par une morale inquisitrice qui n’a plus lieu d’être à notre siècle.

Au sein de cette population, les femmes sont invisibles. À part Sonia et son interprète, seule une jeune actrice apparaîtra dans le film. Cette dernière explique combien elle a du convaincre son père de la laisser tourner, celui-ci étant obsédé à l’idée qu’on prenne sa fille pour une danseuse, insulte suprême dans ce pays où la femme est considérée uniquement comme un objet de perversion. À ce sujet, Salim Shaheen trône en parfait mâle dominant. Lors de la visite de sa maison il prévient « Femmes, cachez vous ! ». Il présente ses huit fils avec fierté et prétexte que ses deux femmes et ses six filles sont de sortie pour justifier leur absence.

Une sensation de malaise que l’on ressent également avec l’un de ses acteurs fétiche, Qurban Ali. L’homme aime se travestir et joue de sa popularité pour oser quelques injonctions « coquines » aux hommes qu’il croise. Malgré son statut du bouffon, il sera souvent obligé de préciser qu’il plaisante, pour ne pas subir les représailles viriles d’esprits sévèrement bornés. On l’accompagnera par la suite au sein de sa grande famille où sa femme semble plus être son infortunée complice, plutôt que l’objet de ses désirs.

C’est cette contradiction que l’on retiendra surtout de ce documentaire de Sonia Krolund, qui même en développant un sujet plus optimiste sur l’Afghanistan que précédemment, ne peut au final que retranscrire ce manque cruel de liberté individuelle. En résulte un documentaire incisif qui sait prendre le recul nécessaire par rapport à son (envahissant) sujet pour mieux décrire son véritable univers et ne pas se contenter uniquement du monde qu’il pastiche dans sa florissante filmographie.

Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur

BANDE ANNONCE

Laisser un commentaire