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JIMMY P.

Un film de Arnaud Desplechin

Radiographie des blessures de l’âme

Etat du Montana, 1948. L’Indien James Picard, vétéran de la 2e Guerre de retour dans le ranch où il a grandi, est frappé par de terribles maux de tête. Croyant qu’il s’agit des séquelles d’une blessure au combat, il se rend dans un hôpital de guerre spécialisé dans la prise en charge des troubles les plus mystérieux. Incapables d’identifier le mal qui ronge leur patient, les médecins décident d’appeler à la rescousse George Devereux, anthropologue français à l’accent roumain…

Cinq ans après "Un Conte de Noël", Arnaud Desplechin fait son grand retour avec un film étonnant, en rupture avec son cinéma habituel. Rupture parce qu’il l’a tourné aux Etats-Unis, ce qui ne coule pas de source quand on connaît la filmo du cinéaste et la french touch qu’elle véhicule à plein nez. Rupture, également, parce qu’il s’est offert les services de la star Benicio del Toro et du compositeur Howard Shore, généralement crédité aux films de Martin Scorcese et David Cronenberg. Rupture, surtout, parce que Desplechin semble tourner la page des thèmes qui lui sont chers et qu’il distille depuis près de 20 ans, à savoir la complexité des sentiments au sein du couple et de la famille ("Comment je me suis disputé", "Rois et reine"). Sur le papier se dessine donc la promesse d’un renouvellement ambitieux. On s’étonne même presque de voir débouler au bout de vingt minutes son acteur fétiche, Mathieu Amalric, sous les traits d’un anthropologue un tantinet guignolesque.

Mais allons à l’essentiel : non seulement la promesse est tenue, mais le film ne ressemble en rien à celui d’un réalisateur français cherchant à faire du cinéma américain. Fort heureusement ! Lenteur du rythme, décorticage de la psyché des personnages, refus de la spectacularisation pour mieux nous plonger dans un état de fascination… Desplechin prend le contre-pied de cette histoire de découverte scientifique (le livre dont le film s’inspire est un cas d’étude du vrai George Devereux) pour en faire un récit avant tout humaniste, axé sur la rencontre et l’apprivoisement mutuel de deux personnages hors normes. Leur lourd héritage est d’ailleurs l’un des aspects les plus intéressants du film : l’un est issu d’une tribue indienne en partie décimée, tandis que l’autre est un apprenti psychanalyste déconsidéré par ses pairs, juif de surcroît. Remarquable conteur, Desplechin trouve en outre le moyen de doubler cette fable universelle d’une lecture politique assez subtile de l’Histoire de l’Amérique, nous rappelant que les Indiens, longtemps traités comme des parias, furent envoyés au front sans vergogne lors des grands conflits du 20e siècle. Une finesse narrative qui confère au film une aura toute particulière.

Le revers de la médaille du parti-pris de Desplechin en matière de mise en scène est son absence de surprise : à aucun moment on ne sent poindre l’éventualité d’un rebondissement ou d’une révélation, tant le chemin vers la guérison s’annonce tout tracé, au rythme des séances de discussion, des révélations nocturnes ou de quelques moments d’égarement de Jimmy Picard. Cela dit, il ne faut pas voir dans la linéarité du film une marque d’autosatisfaction ou, pire, de paresse, mais bien la volonté d’exprimer un cheminement, un apprentissage. Et si certains déploreront quelques longueurs, d’autres se délecteront de cette propension au sous-régime, qui se manifeste jusque dans l’interprétation toute en retenue de l’imposant Benicio del Toro, et contribue à rendre le film agréablement étrange.

Un mot, enfin, sur Mathieu Amalric, dont on connaît depuis quelques années le penchant pour les rôles dégénérés, et qui brille ici par sa composition. Injustement ignoré par le jury au palmarès du festival de Cannes 2013, alors qu’il venait de livrer coup sur coup deux prestations de haute volée (guettez bien la sortie du prochain Polanski, où il est époustouflant), il prouve avec ce film non seulement qu’il est un grand acteur, mais aussi qu’il se bonifie avec le temps.

Sylvia GrandgirardEnvoyer un message au rédacteur

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