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EX DRUMMER

Un film de Koen Mortier

No rules. No mercy. No future.

Afin de gagner un concours, trois musiciens handicapés d’Ostende sont à la recherche d’un batteur pour leur groupe de punk. Ils proposent la place à Dries, un écrivain sadique en panne d’inspiration. Celui-ci accepte par opportunisme mais, en manipulant à son gré les autres membres du groupe et leur entourage, va finir par créer une spirale d’événements terribles dont personne ne sortira indemne…

Sortie directe en DVD le 06 décembre 2011

Au vu du nombre insensé de péloches barrées, nonsensiques, poétiques ou provocatrices qu’ils ont été capables de pondre depuis la sortie de "C’est arrivé près de chez vous" en 1992, nos voisins Belges n’ont de cesse de nous rappeler à quel point notre cinéma « béret-baguette » n’a pas autant la frite au garde-à-vous que chez eux. Le premier film du réalisateur flamand Koen Mortier peut sans doute se prévaloir d’être le point culminant de cette longue lignée de films couillus, explorant le quotidien pas folichon d’individus borderline des régions du Nord, mais avec un regard inverse à celui de réalisateurs obsédés par la compassion facile pour la misère ordinaire. Avec la même insistance que Felix Van Groeningen sur "La Merditude des choses", Mortier pisse sur le moindre jugement moral en même temps qu’il file un violent coup de boule au politiquement correct. Mais son film sait ici se distinguer par une énergie punk proprement démente, du genre que l’on avait rarement ressentie à ce point-là dans un long-métrage de cinéma.

Quelque part, le punk, ça a toujours été ça : un grand cri enragé, libertaire et quasi inconscient, expédié à la face des dogmes et de toute notion d’autorité, histoire de mieux mettre à mal les valeurs de l’ordre établi. Adapté du roman éponyme de l’écrivain flamand ultra-controversé Herman Brusselmans (déjà réputé pour une œuvre littéraire à la fois nihiliste et obscène), "Ex Drummer" n’intègre jamais sa colère punk sur le terrain politique et social, mais s’incarne au contraire en véritable rouleau-compresseur de mauvais goût pleinement assumé, par un réalisateur qui n’épargne rien ni personne, que ce soit les femmes, les gays, les handicapés, les clochards ou les étrangers. L’expérience, bien sûr empreinte d’un cynisme à filer un infarctus au plus fragile des spectateurs cul-bénits, échappe toutefois à toute connotation idéologique ou sociale par sa gratuité et sa complaisance, preuve d’un film infernal qui hurle sa rage irraisonnée autant par ses images que par sa bande-son explosive (où se bousculent pêle-mêle Arno, Mogwai, Ghinzu, Millionaire ou encore Lightning Bolt).

Quelque part entre la chronique trash à la Paul Verhoeven (période "Turkish Delight" ou "Spetters"), la virée sous acide façon "Trainspotting" et le réquisitoire punk dénué de tout propos, "Ex Drummer" ne possède rien de très compliqué sur le plan du scénario : un écrivain est engagé comme batteur dans un groupe constitué de trois musiciens munis chacun d’un handicap (guitariste sourd, bassiste au bras raide, chanteur avec cheveu sur la langue), avec pour seul et unique ambition de les manipuler et de détruire leur vie, histoire de retrouver l’inspiration pour un nouveau roman. Simple comme bonjour sur le fond, mais pas sur la forme : dans sa peinture d’un univers glauquissime où se confrontent des salauds pornocrates et des imbéciles drogués jusqu’à la moelle, Koen Mortier évacue tout soupçon de misérabilisme (on n’est pas chez Iñarritu) par une inventivité visuelle de chaque instant (à peu près une dizaine d’idées par plan) et une stylisation permanente de l’image qui éjectent le film d’une éventuelle peinture crade et réaliste d’une humanité à la dérive. Et en dessinant ses personnages sous forme de graffitis inachevés (ce que le générique illustrait en représentant chaque membre de l’équipe technique sous la forme de marques, de tatouages ou d’enseignes), le cinéaste bloque l’identification et l’empathie pour cette galaxie d’individus ignobles.

Dans "Ex Drummer", on verra un skinhead misogyne se brosser les dents en marchant au plafond (!) dans un appartement délabré, un cercueil qui glisse aléatoirement sur le goudron avant de se vautrer dans le caniveau, une masturbation qui déclenche un séisme, d’atroces expériences scientifiques commises sur des drogués en cure de désintox, un concert de musique punk où tout le monde se hurle dessus (d’abord) et se cogne sévère (ensuite), des geysers de vomi dans les cabinets, un taré nommé « Gros Zob » qui sodomise un attardé mental avec ses cinquante centimètres (!!!) jusqu’à le faire saigner, des scènes de partouze non simulées, des morts qui se confient face caméra sur leurs angoisses les plus profondes juste après s’être fait zigouiller, et pour couronner le tout, on aura même droit à la visite d’un vagin géant comme lors du final déjanté du "Calmos" de Bertrand Blier !

D’une obscénité inimaginable, le film ne se fixe aucune limite et ne prend pas de gants pour choquer son public. Mais c’est précisément dans sa folie, son énergie et sa volonté d’exploser toutes les frontières de l’excès qu’il emporte l’adhésion, au risque de nous retourner le cortex toutes les dix secondes. Ne pas chercher de logique ou de thématique dans cet univers qui transpire l’alcool, la clope, la saleté, la pisse et le sperme, mais juste se laisser prendre par le vertige de l’expérience. Si l’on accepte de rentrer dans ce système de lecture, on ressortira inévitablement KO de cet uppercut trash-punk, pour le coup subversif, visuellement époustouflant et unique en son genre.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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