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ÉTERNITÉ

Un film de Trân Anh Hùng

Planning familial

Valentine, née à la fin du XIXe siècle, est l’aînée de 3 enfants. Mariée à Jules elle va donner naissance à huit enfants dont Henri qui épousera par la suite Mathilde. Le jeune couple deviendra alors très amis avec un autre couple : Gabrielle et Charles…

Au printemps dernier, de nombreux bruits de couloir annonçaient « Éternité » en film de clôture du 69e Festival de Cannes. Or contre toute attente, le soir où la palme fut décerné, aucun film autre que la Palme ne fut finalement programmé pour clore cette édition 2016. « Éternité » avait disparu des écrans radar, ne figurant dans la programmation d’aucun événement cinématographique majeur. Tran Anh Hung sort à présent son film loin des projecteurs, 6 ans après sa dernière réalisation « La ballade de l’impossible » et 21 ans après son lion d’or obtenu pour « Cyclo ».

Cette mise à l’écart des grands festivals n’augurait rien de bon, surtout à la vue du casting qui assurait pourtant un tapis rouge prestigieux entre Audrey Tautou, Mélanie Laurent, Bérénice Béjo et Jérémie Renier. Effectivement une fois devant l’écran, on s’aperçoit très vite que le film relève plus de l’exercice de style hermétique que de la sublime fresque familiale que tentait de nous vendre la bande annonce. Le film est avant tout une expérience, celle de monter les uns derrière les autres les moments clé de la vie de trois femmes liées de près ou de loin par la filiation.

Ces événements sont on ne peut plus basiques : l’enfance, le mariage, les naissances (il y en a beaucoup) et la mort. Entre noces, baptêmes et enterrements, les personnages issus de la très haute bourgeoisie, flânent au soleil, lisent des revues, font de l’aquarelle et s’embrassent au ralenti. Le monde extérieur n’a aucune prise sur eux à l’exception des aînés de Valentine tombés sous les drapeaux et encore, on aperçoit seulement furtivement leur avis de décès dans les mains d’Audrey Tautou en larmes.

Ce minimalisme est exacerbé par une absence quasi totale de dialogues. Les destinées de chacun sont évoquées en voix-off par une narratrice qui récite mot pour mot les grandes lignes du roman éponyme d’Alice Ferney dont le film est adapté. Un parti pris qui laisse la part belle à l’image et à la musique. Les maisons bourgeoises du sud de la France s’illuminent au soleil couchant sous les notes mélancoliques des « arabesques » de Debussy. Une atmosphère idyllique où les acteurs posent heureux et sereins, tels des mannequins couture parés des plus belles toilettes d’avant guerre. Cette belle ambiance parfaitement maîtrisée pourrait nous emmener dans une magnifique rêverie sur les fastes du temps passé si il s’agissait d’un simple court-métrage purement esthétique. Or au format long, l’exercice se noie dans des boucles répétitives qui semble réellement durer une éternité.

Mais là n’est rien à côté du malaise que suscite le peu d’histoire que révèle le film. Le discours est simple : on ne peut être heureux que lorsqu’on fonde une famille et plus on a d’enfants, mieux c’est. Certes, voilà une vision assez restrictive du bonheur mais elle est louable. Là où le bât blesse c’est que chaque mariage du film est arrangé et chaque mariage devient heureux parce que ses protagonistes ont travaillé à cela. En résumé l’amour serait une variable prédéfinie et ne tient qu’à vous de faire des efforts pour être heureux avec ça, le plus important étant au final de respecter la décision de vos parents. La seule qui ose imposer son choix de vie est Margot, la fille de Valentine et c’est pour rentrer au Carmel… Hic ! Un discours vieille France, pour ne pas dire réac, qui bien qu’illuminé de la plus belle photographie qui soit, laisse un goût amer qu’on peine à avaler. On comprend mieux à présent, pourquoi le film fut boudé de toute programmation de grand festival et par de nombreux exploitants.

Gaëlle BouchéEnvoyer un message au rédacteur

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