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AU REVOIR LÀ-HAUT

Un film de Albert Dupontel

CONTRE : Niveau -1 - … et bonjour ici-bas !

En 1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale, deux anciens soldats, sans le sou, dont l’un est défiguré mais possède un don pour le dessin, décident de monter une arnaque, en mettant en place un catalogue de monuments aux morts, qu’ils vendent sans les réaliser…

Tant d’ambitions folles, tant d’excellents échos, tant d’espoirs placés dans ce qui s’annonçait comme l’un des plus gros uppercuts cinématographiques français de 2017… Et au final, une déception tout à fait proportionnelle au taux d’attentes placées dans la nouvelle création d’Albert Dupontel. On ne dira d’ailleurs pas la « nouvelle folie d’Albert Dupontel », puisque l’humour n’est plus à la fête. En adaptant le roman multi-primé de Pierre Lemaître (Prix Goncourt en 2013), le réalisateur de "Bernie" investit un registre casse-gueule : celui de la reconstitution historique. Sans pour autant y enlever son goût immodéré pour des personnages de nantis lancés dans une croisade punk contre les institutions et les injustices. Il y avait bien sûr de ça dans le roman de Lemaître, ne serait-ce qu’au vu du parcours de ces deux soldats poilus démobilisés et lancés dans une escroquerie vengeresse vis-à-vis d’une société d’après-guerre plus ou moins patriotique. Bon sujet, donc, doublé d’un regard tendre sur l’artiste meurtri qui ne se fie qu’à son cœur et son imagination. Reste le traitement de ce sujet sérieux… Et hélas, c’est là qu’est l’os…

Le souci premier apparaît en moins de dix minutes : Dupontel semble vouloir troquer ses tongs de punk pour les chaussures en cuir de Jean-Pierre Jeunet. La connexion ne se fait pas seulement au vu d’une intro qui plonge de plein fouet dans l’enfer des tranchées, mais tout de même : là où Jeunet faisait preuve de lyrisme puissant et de symbolisme évanescent dans sa peinture de la guerre (revoyez "Un long dimanche de fiançailles"), Dupontel semble désireux d’en pomper maladroitement la scénographie (mais sans un travail stylistique digne de ce nom : un comble de sa part !) et s’en tient à une visualisation on ne peut plus cheap et illustrative, tout juste rehaussée par un élégant travelling inspiré par "Les Sentiers de la gloire" (le réalisateur n’a jamais caché son amour pour le film de Kubrick). C’est par ailleurs durant cette scène inaugurale que toute la sève dramaturgique d’"Au revoir là-haut" nous fige illico presto dans un sourire crispé, aussi bien en ce qui concerne la formalisation des enjeux narratifs que la caractérisation des personnages.

Sur le premier point, le choix d’une narration en flash-back avec un narrateur très bavard (Dupontel) qui paraphrase tout ce que l’image rend pourtant déjà limpide est une gaffe désastreuse – croire le spectateur lambda à ce point incapable de décoder le langage cinématographique est en soi très condescendant. Sur le second point, les prestations d’acteurs oscillent entre le correct pépère (Arestrup fait du Arestrup, Dupontel fait du Dupontel, etc…) et la caricature carabinée (Laurent Lafitte, ici très mauvais, passe tout le film avec le mot « salaud » tatoué sur le front). Pour le coup, c’est quasiment un miracle si le jeune Nahuel Perez Biscayart (la stupéfiante révélation de "120 battements par minute") s’en sort haut la main dans un rôle kamikaze, privilégiant la pantomime et l’onomatopée pour étoffer un personnage qui se cherche dans la créativité – une prestation en soi assez époustouflante.

Plus généralement, on se contentera de dire qu’Albert Dupontel n’était pas le cinéaste adéquat pour ce projet. Le simple fait d’apprendre que Jean-Jacques Beineix – dont le récit de Lemaître faisait écho à sa propre enfance – avait été le premier à entreprendre une adaptation de ce livre est un indice qui ne trompe pas. Même après des années d’absence, on visualise sans peine ce qu’un créateur d’images fortes et de personnages barrés tel que Beineix aurait pu tirer d’un film : lyrisme fort, esthétique novatrice, émotion dévastatrice. Encore trop arrimé aux conventions de la farce socio-cartoon dont il reste le cador hexagonal, Albert Dupontel s’est contenté de subordonner le roman de Pierre Lemaître aux conventions de son style – l’inverse aurait été largement préférable. Ici, son manichéisme sonne comme déplacé, sa virtuosité narrative se fait timide quand elle n’est pas carrément ostentatoire (75% des plans-séquences sont juste là pour faire joli) et sa direction d’acteurs métamorphose l’après-guerre en un cirque de grimaces et de caricatures où tout n’est que lourdeur schématique, sans nuance. Chez Jeunet, au contraire, c’est toujours de la déformation que l’émotion peut surgir, autant par effet direct de l’empathie que par effet secondaire de la nuance. Dupontel aura beau réussir une scène finale pour le coup vraiment très belle, il est hélas trop tard : son film est déjà enterré.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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