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AU-DELÀ

Un film de Clint Eastwood
 

POUR: Niveau 4 – Ne pas savoir

Marie, journaliste française, se voit emportée par un Tsunami en Asie. Laissée pour morte quelques minutes, elle sera durablement perturbée par cette expérience. George, américain moyen, essaye de fuir son don de voyance en changeant de métier. Enfin, Marcus, gamin anglais, perd brutalement son frère jumeau, renversé par une camionnette alors qu’il était poursuivi par une bande qui en voulait à son portable…

Le nouveau Clint Eastwood ne nous laisse il est vrai pas trop le choix. Son scénario part d'un postulat simple: il existe un au-delà. Et questionner cela ne sera pas son propos. Cela aurait été un autre film. Eastwood s'intéresse à la capacité de chacun de faire face à la mort, à notre volonté d'éluder le sujet de l'après ou de chercher à savoir. Ses personnages sont à l'image de ce conflit, souvent intérieur. L'une veut en parler, quelles que soient les conséquences pour sa réputation ou sa carrière. Les second est partagé entre le désir de vivre une vie normale et donc d'oublier son don, et sa capacité à aider les autres. Enfin le troisième souhaite savoir s'il peut communiquer avec son frère, pour s'assurer que celui-ci veillera toujours sur lui, comme il le faisait auparavant, de son vivant.

De ces trois destins, qui finiront bien entendu par se croiser, Eastwood tire trois histoires en parallèle. Il nous entraîne dans la première par une belle journée ensoleillée, affichant un bonheur trop parfait pour qu'un malheur ne pointe son nez. La scène du raz de marée ouvre donc le film de manière brutale, avec une Cécile de France radieuse. Reconstitution impressionnante de la catastrophe, portée pour la première fois à l'écran, prémisse d'un changement de personnalité, parfaitement incarné par l'actrice belge, confrontée à une peur mêlée de fascination. Avec justesse, Eastwood évite de trop en faire sur la représentation de l'au-delà, se contentant de représenter quelques silhouettes estompée, sur fond de lumière éblouissante. Autant qu'un véritable monde parallèle, cela pourrait être une simple construction psychique, d'un cerveau arrivant en bout de course, ou soumis à un choc. Le spectateur est donc en droit de douter.

De même avec Matt Damon, médium d'une sobriété presque troublante, qui ne tient la main de ses patients que quelques secondes avant de leur raconter une histoire, sans même les regarder dans les yeux. Mensonge télépathe, ou véritables visions, le doute est aussi permis, même si les détails qu'il égraine sont troublants. Mais plus qu'à son pouvoir, c'est à sa possibilité de vie privée que l'auteur s'intéresse, développant une romantique rencontre avec Bryce Dallas Howard, toute en réserve. Enfin, et c'est peut-être l'histoire qui touche le plus, celle de Marcus, perdu sans son « grand » frère, plus vieux que lui de quelques minutes, part dans une errance liée à la fois à sa situation (mère droguée, famille d'accueil...) et à son état psychique. Hasards ou prémonitions, l'aide que lui apporte son jumeau depuis l'au-delà est tout juste évoquée (par une casquette qui s'envole au moment opportun...). Mais son entêtement finit par s'avérer bouleversant.

Ce trio d'histoire, au mariage aussi peu naturel qu'aux castings remarquables, fait du nouveau film de Clint Eastwood, après le très académique et décevant « Invictus », une œuvre troublante, durant laquelle chacun pourra s'interroger sur son rapport à un éventuel au-dela, sur son envie de savoir. Comme le dit à un moment le personnage de Cécile de France, « des prix-nobles harcelés » par le clergé, c'est un sujet forcément passionnant, qui pose de nombreuses questions. Pourquoi n'y a-t-il pas plus d'études ou de papiers sur la mort clinique, la mort imminente, pourquoi se contente-t-on avec fascination de s'arrêter à la surface des choses, entre d'un coté voyants aux rituels ridicules et de l'autre dogme statique sur l'existence d'un paradis ? Pourquoi ceux qui osent parler de cela sont vite rangés dans la première ou la seconde catégorie ? Mais aborder cela, ce serait aussi le sujet d'un autre film... Si « Au-delà » n'est pas le grand film qu'il aurait pu être, il a le mérite d'effleurer la question.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

Lors d’une interview parue dans un supplément du « Nouvel Observateur » consacré au film d’Eastwood, Cécile de France tentait d’expliquer pourquoi, selon elle, les critiques français avaient reçu l’œuvre avec froideur : parce que les Français en général, semble-t-il, sont de grands cyniques (ce n’est pas faux) et qu’ils éprouvent encore, paraît-il, une répulsion certaine pour le sujet de la mort (ah bon ?), contrairement aux Américains qui affirment sur ce point leur grande ouverture d’esprit. Il nous semble facile d’opposer ainsi le Nouveau Monde au Vieux Continent, qui soit dit en passant, a toujours traité la Grande Faucheuse avec le plus profond respect, j’en veux pour preuve la multiplicité des rites funéraires qui accompagnent la civilisation depuis que l’homme est homme. L’Europe et son intellectualisme, l’Europe et sa propension à la vaine réflexivité, la France et son cynisme : les clichés ont bon dos quand il s’agit de nous reprocher notre manque d’enthousiasme pour certaines productions américaines, même réalisées par les grands maîtres. Réponse à Cécile de France : si le film d’Eastwood partage tant la presse hexagonale, c’est sans doute parce qu’il brille par sa médiocrité. Voilà une explication bien suffisante.

« Médiocrité » est le bon mot. Car « Au-delà » n’est pas vraiment raté, il vogue juste entre les eaux de la réussite et de la déception, bref, à l’échelon de la platitude et de la pauvreté de vue. C’est d’autant plus surprenant qu’Eastwood ne nous avait plus habitué à tant d’hésitations scénaristiques, à des situations si filandreuses et longues, à tant de digressions inutiles. Cet entrelacement de trois histoires situées sur des continents différents aurait pu devenir le grand film choral de son auteur, un « Magnolia » paranormal, une épopée humaine universelle dont les enjeux auraient bondi des Etats-Unis à la Thaïlande, de l’Angleterre à la France, du possible à l’impossible, comme les pièces d’un vaste puzzle civilisationnel se mettant en place autour du plus grand des mystères existentiels : la fin de vie. Au lieu de cela, Eastwood délaye ses enjeux dans un large verre d’eau plate, en espérant peut-être qu’il en sortira une solution aqueuse enthousiasmante, et confie à des personnages rudimentaires et schématiques des problématiques trop complexes pour eux. Son film donne parfois l’impression qu’on essaye de faire entrer un dodécaèdre dans un trou circulaire : sauf à évaser les bords de la figure pour la simplifier, impossible de franchir l’obstacle. Alors Eastwood simplifie, décompose, abrège, axiomatise. Pour métamorphoser un sujet d’ampleur philosophique en thème de discussion de comptoir.

Eastwood se vante, à travers son film, de ne jamais s’interroger sur la mort ou de ne jamais donner sa propre vision de ce qui nous attend au-delà de cette existence terrestre. De fait, durant plus de deux heures, il nous expose donc une thèse rigide et imperméable qui nous force à croire d’emblée au decorum mortifère : Marie (Cécile de France) expérimente une NDE (Near Death Experience) lors du tsunami en Asie du Sud-Est. Durant quelques minutes, avant d’être ramenée à la vie, elle voyage dans les limbes, au sein d’une mer lumineuse et floue parsemée des silhouettes impalpables des autres décédés. Cette expérience incroyable la met définitivement en marge de la société à laquelle elle appartient ; de retour à Paris, il lui est désormais impossible de se concentrer sur son travail, ses amis, ou le livre qu’elle souhaitait écrire sur François Mitterrand. Noyée par sa vision de l’après, elle se confronte au scepticisme des autres. Mais pas au nôtre, puisque le cinéaste a clairement choisi son camp en faveur de son héroïne. C’est pourquoi la conversation au restaurant entre Marie et Didier, producteur de son émission de télé (incarné par Thierry Neuvic) semble si décalée : l’incrédulité du personnage face aux « choses » relatées par Marie n’a pas pour effet de nous faire douter de sa bonne foi, au contraire, elle marginalise à son tour le personnage de Didier et tous ceux qui, comme lui, ne veulent pas croire à la « bonne parole » de la jeune femme. Il y a ceux qui croient à l’au-delà et les autres, comme il y a les magiciens et les Moldus dans « Harry Potter ».

Ce manque de perspective en regard de son sujet, Eastwood l’accentue dans sa partie américaine, pourtant la meilleure, et de loin. Le médium George (excellent Matt Damon, comme toujours) a renoncé à s’offrir en passerelle de communication entre vivants et morts, malgré l’avenir opulent qui lui était promis, car ce petit jeu avec l’au-delà tend à gâcher son existence ici-bas. Il est simplement dommage que le cinéaste, une fois de plus, nous impose un propos unilatéral, concentré sur les tensions sociales de George plutôt que sur la réalité de son incroyable pouvoir. Ici encore, Eastwood nous abreuve d’images lumineuses et floues qui font écho à celles de Marie, de silhouettes immobiles qui racontent leurs anecdotes tristes ou amusantes, celles que George transmet ensuite à ses clients. Ces images ne souffrent pas de questionnement, ni l’état transitoire de George. En soi, ce n’est pas bien grave : les scènes à San Francisco respirent un mélange de bonté, de fraîcheur et de désespoir qui génèrent de purs moments d’émotion. La rencontre avec Mélanie (Bryce Dallas Howard) à un cours de cuisine, la sensualité d’un instant où chacun doit goûter aux mets les yeux fermés, la malédiction de George qui ne peut effleurer la main de cette femme sans connaître d’elle tout son passé, y compris le moins avouable… Que ne vous êtes-vous contenté de cette merveilleuse et intimiste histoire, Mr. Eastwood ! Plutôt que d’esquisser, sur trois plans à la fois et avec une insupportable tendance à faire traîner les choses, une théorie fumeuse de l’au-delà !

Néanmoins, le message le plus explicite est à trouver dans la partie anglaise, autour de ce jeune garçon – Marcus – dont le frère jumeau vient de mourir. Passons sur la caricature de la famille malheureuse – que l’on doit tout autant au scénariste Peter Morgan qu’au réalisateur – où, non content d’expérimenter une perte affreusement douloureuse, Marcus est affublé d’une mère alcoolique et droguée (c’est dans le dessin de cette mère que resurgit le défaut le plus saillant d’Eastwood, déjà palpable dans « Million Dollar Baby » : la tentation de vouloir trop charger la barque lacrymale). Marcus recherche à tout prix un médium, quelqu’un qui sera capable de lui offrir une ultime vision de son jumeau disparu. Rien n’est alors plus parlant que l’expression du visage de Marcus confronté aux fariboles psychiques qui lui sont servies par les saltimbanques officiels, le scepticisme et l’incrédulité face à la fiction traditionnelle de la mort : médium qui prend la voix des morts, voyante qui transmet de bonnes nouvelles de l’au-delà, etc. Cette expression est d’autant plus juste que c’est précisément celle, également, du spectateur pendant deux heures : scepticisme et incrédulité face à la candeur – pour ne pas dire la niaiserie – du propos servi par Eastwood, réduit à sa plus simple expression.

A une seule occasion, dans « Au-delà », quelque chose se passe. Un éclair de réussite. Je ne parle plus des belles scènes américaines, ni même de la casquette de Marcus poursuivie sur le quai du métro, superbe séquence au dénouement inattendu. Je pense à la rencontre finale entre George et le garçon, à Londres, après un salon du livre, où face à la détresse de l'enfant, Georges sera amené à mentir, pour le bien des autres, pour la première fois, lui qui d’ordinaire assène des vérités douloureuses. Dans l’écrin grossier du film, le temps d’un court instant, une perle de beauté s’est installée. Ce n’est certes pas grand-chose, mais nous ne nous plaindrons pas de nous heurter, sur les flots de la médiocrité, à une inestimable bouée de sauvetage.

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