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AMER

Ton corps est une porte close, dont moi seul possède la clef

Une petite fille effrayée par une villa trop silencieuse. Une adolescente attirée par de mystérieuses présences rôdant dans son village. Une femme qui revient défier ses fantômes sur les lieux de son enfance. Les trois âges clés de la vie tourmentée d’Ana. Entre désirs, réalité et fantasmes…

Crée par Mario Bava dans les années soixante, le giallo fut considéré dès le séminal "La Fille qui en savait trop" comme un détournement typiquement latin du thriller hitchcockien. Intrigue policière prétexte, meurtres fétichistes, assassins masqués gantés de cuir, victimes féminines martyrisées... C'est tout un attirail qui fut usé jusqu'à la corde par les innombrables artisans de l'âge d'or du cinéma de genre italien : portés par les expérimentations baroques de Dario Argento (la trilogie animale, "les Frissons de l'angoisse"), les Umberto Lenzi, Sergio Martino et autres Massimo Dallamano rivalisèrent d'audace et de perversion dans l'art de représenter le meurtre au cinéma. Disparu des écrans depuis la mort du cinéma populaire de la péninsule, le giallo aura ces derniers temps connu un léger regain d'intérêt, certains des nouveaux maîtres du genre lui rendant régulièrement hommage dans leur filmographie : le très violent "Martyrs" de Pascal Laugier ou l'inédit "I Know Who Killed Me" de Chris Sivertson ont ainsi su utiliser avec audaces les codes formels et narratifs du giallo.

Il est nécessaire d'avoir ceci en tête pour bien comprendre la logique d'un film comme "Amer". Car s'il entretient une filiation évidente avec les deux films cités, c'est une tout autre expérience qui vous attend ici. Point d'intrigue, policière ou non, dans ce film sensuel et expérimental à nul autre pareil. Plutôt que de suivre à la lettre les traces de leurs aînés, Hélène Cattet et Bruno Forzani préfèrent puiser dans leur imagination tordue et leur personnalité profonde pour construire un poème cinématographique total, abscons et hypnotique, plus proche d'une tentative surréaliste que du thriller morbide attendu. Tout n'est ici que symbolique et fétichisme.

En usant des stigmates les plus évidents du giallo (gros plans charnels, cuir grinçant, lame de rasoir scintillante, jeune femme tentatrice et victime) comme d'une panoplie visuelle et sonore pour explorer l'éveil au corps et à la sensualité d'une jeune femme, "Amer" s'approprie totalement les couleurs et l'abstraction propre au genre, ses codes immuables, pour épouser une très fragile construction en trois actes. Enfance. Adolescence. Âge adulte. Voilà pour les trois étapes scrutées avec attention par un duo de cinéastes préférant le ressenti et le sensitif à l'explicatif et à l'intellectuel, s'approchant au plus près de leur personnage-clé, s'attardant sur des détails en apparence anodins (le vent soulevant sa robe et caressant ses cuisses, le regard d'un enfant sur son corps naissant, le frôlement d'une branche sur sa peau, la voix d'un chauffeur de taxi) pour mieux impliquer le spectateur dans une destructrice quête de(s) sens. Une forme d'écriture automatique fonctionnant par association d'idées (des éléments des trois actes se répondent les uns aux autres, offrant de nouvelles pistes d'exploration à Ana), pour un résultat qui rappelle parfois le très abstrait "Inferno" de Dario Argento.

Citant avec parcimonie les meilleurs films du genre ("Suspiria" - Argento, toujours lui ! - principalement dans sa première partie, "La Longue nuit de l'exorcisme" de Lucio Fulci - étouffant giallo rural, le très ésotérique "La Mort a pondu un oeuf" de Giulo Questi) en
s'appropriant certaines de leurs idées, de leurs musiques (du Ennio Morricone, du Bruno Nicolai...), "Amer" n'est pas film à se laisser pénétrer facilement, et il convient de se laisser porter par une narration chaotique et déstructurée, pleine de bruits et d'images troublants, pour en découvrir tous les secrets. Osé, miraculeux, rêveur, le premier long-métrage d'Hélène Cattet et Bruno Forzani ressemble en définitive à un giallo écrit par Edgar Allan Poe. Ce dernier n'affirmait-il pas que « la mort d'une jeune femme est le plus beau des sujets »...

Frederic WullschlegerEnvoyer un message au rédacteur

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