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MUSIQUE ET CINÉMA : Jean-Sébastien Bach

Qui est le plus grand compositeur de tous les temps? Question délicate propre à enflammer tout mélomane qui se respecte... Cette première place serait difficile à attribuer, compte tenu du nombre de génies qu'ont vu apparaître les siècles derniers. Mais pour tenter de donner une réponse qui se rapprocherait d'une hypothétique vérité, peut-être pourrait-on construire un podium à une place rassemblant côte à côte Bach, Mozart et Beethoven... Toujours est-il que Jean-Sébastien Bach a produit une œuvre aussi parfaite que prolifique. Difficile en effet de parler de perfection en musique, mais il suffit d'écouter l’une de ses cantates, de ses passions, la messe en si ou ses œuvres pour clavier (le clavier bien tempéré, les partitas, les variations Goldberg...) pour appréhender le génie du compositeur allemand. En outre, si le langage de Bach, du point de vue de l'écriture, est au delà de tout reproche, il ne s'agit pas uniquement d'une performance « technique ». Ce qui fait le génie de Bach est aussi son habilité à créer une musique très expressive qui nous touche au plus profond de nous-mêmes. Cette alliance parfaite entre finition de l'écriture et expression du langage n'a pas manqué d'inspirer une multitude de cinéastes, de manière incroyablement variée. En voici une sélection non exhaustive, qui montre une fois de plus que musique classique et septième art font définitivement bon ménage...

(N.B : Si vous parlez de Jean-Sébastien Bach à l'étranger et plus particulièrement en Allemagne, ne soyez pas étonné de n'être pas compris ou encore que l'on se moque de vous : prononcez Johan Sebastian Barre et vous serez respecté. C'est comme si un Allemand vous parlait de Moritz Ravel ou Claudius Debussy... Chose qu’il ne fera pas car notre cher pays est le seul à vouloir absolument franciser tous les noms étrangers qui lui tombent sous la main. Ah, l'exception française...)

"Intouchables", d'Éric Toledano et Olivier Nakache (2011)

Profitant de la présence de musiciens chez lui, Philippe (Cluzet) veut faire découvrir à Driss (Sy) la musique classique. Mais celui-ci a du mal à accrocher. "L'Été" de Vivaldi ne lui évoque rien, "Le Printemps" du même compositeur lui rappelle la musique d'attente des Assedic, "Le Vol du bourdon" de Rimski-Korsakov prend les traits de Tom et Jerry. Et Jean-Sébastien Bach n'est pas non plus épargné... Le "Prélude de la suite en sol pour violoncelle" : « Si, je connais, ouais. C'est une pub ! Pour du café, non ? » La "Badinerie de la 2ème Suite orchestrale en si mineur" : « Oyé ! Oyé ! Parmanda ! On m'attend au château de Vaux-le-Vicomte ! Je vais y conduire des ménestrels ! Oui je suis bon chevalier ! » Le "Concerto pour clavecin en fa mineur" : « C'est chelou, c'est des gens qui sont pas vêtus. Je vois des gens courir, mais pas d'habits. Et ça glousse. Il était chaud Bach. Il devait emballer avec ça. C'est le Barry White de l'époque. »

"Shame", de Steve McQueen (2011)

C'est l'histoire d'un trentenaire new-yorkais à la situation plus que confortable, mais que l'addiction sexuelle va finir par ronger à petit feu. Ainsi, quand il rentre du travail, il met sur son tourne-disque les "Variations Goldberg" par Glenn Gould. Havre de paix et de sérénité, le chef-d'œuvre de Bach sera pourtant le prélude d'une activité placée aux antipodes d'une musique éternelle : la vision d'un film pornographique. Étrange mais percutant contrepoint, donc, que de mettre en contraste l'univers du génie allemand avec celui d'un accro au sexe et à la pornographie...

"Valse avec Bachir", d'Ari Folman (2008)

Dans ce film d'animation autobiographique, le cinéaste raconte la guerre du Liban de manière rétrospective. C'est en cherchant ses anciens frères d'armes ou amis de l'époque qu'il parvient à faire resurgir le passé et accomplir un voyage douloureux à travers des souvenirs profondément enfouis. L'un de ces souvenirs est un épisode tragique que le protagoniste avait oublié alors qu'il en était l'acteur. Des soldats progressent lentement dans un verger quand une roquette est tirée sur leur char. La réaction est immédiate, les soldats à terre tirent sur la silhouette ennemie. Le cadavre est celui d'un enfant. Une scène qui ne peut avoir lieu que par temps de guerre et dont le "Cinquième Concerto" de Bach, dans toute sa perfection et son calme olympien, soulignera l'étrange absurdité. Dans "La Peste", Camus ne disait-il pas :« Mais à l'intérieur du mal, la difficulté commençait. Il y avait par exemple le mal apparemment nécessaire et le mal apparemment inutile. Il y avait Don Juan plongé aux Enfers et la mort d'un enfant. »

"De battre mon cœur s'est arrêté", de Jacques Audiard (2005)

Romain Duris interprète Tom, un agent immobilier véreux qui va reprendre goût à la vie grâce au piano. Il prend des cours particuliers avec une jeune pianiste chinoise tout juste arrivée à Paris et ne parlant pas un mot de français. Cela donnera lieu à des scènes parfois drôles, parfois touchantes, d'où surgira une belle leçon de pédagogie et d'humanité : la musique, dans son pouvoir d'universalité, dépasse la barrière de la langue et peut rapprocher deux êtres qu'à priori tout oppose. L'œuvre que Tom apprend est la "Toccata en mi mineur" de Bach. Fait rare dans un film, on n'y entend pas l'œuvre finie mais au contraire toute son élaboration : les cours, le travail à la maison, les erreurs, l'impatience, l'acharnement, la crispation, puis la détente, la recherche de souplesse, la concentration, la satisfaction et, enfin, le jour de l'audition...

"Incassable", de M. Night Shyamalan (2000)

Il fut un temps où M. Night Shyamalan faisait de bons films. Après la révélation "Sixième Sens" en 1999, le cinéaste récidiva l'année suivante, confirmant avec "Incassable" toute l'étendue de son talent. David Dunn (Bruce Willis) est le seul survivant d'une catastrophe ferroviaire ayant fait 130 victimes. Une note mystérieuse laissée sur son pare-brise le conduit chez Elijah Price (Samuel L. Jackson), un homme atteint de la maladie des os de verre tenant une galerie d'art spécialisée dans les comics. Celui-ci pense avoir une explication à la survie miraculeuse de David. La place de Bach dans tout cela ? Sa musique apparaît deux fois, discrètement, mais à deux instants décisifs du récit, puisqu'il s'agit de la première rencontre entre David et Elijah dans la galerie d'art (Allemande de la "Suite anglaise BWV 807"), puis de la dernière scène du film, théâtre du twist final dont Shyamalan s'est fait maître ("Fugue en do majeur BWV 952").

"Seven", de David Fincher (1996)

Dans le polar désormais culte de David Fincher, nous suivons William Somerset (Morgan Freeman) et David Mills (Brad Pitt), deux détectives lancés sur les traces d'un tueur en série s'inspirant des sept péchés capitaux pour commettre ses crimes. Pour approfondir ses recherches sur le sujet, Somerset se rend dans la librairie principale de la ville. En arrivant, Somerset nargue les vigiles qui jouent au poker toute la nuit alors qu'ils ont un monde de connaissances à portée de main. L'un deux se lève, allume le poste de radio. Commence alors l'une des œuvres les plus connues de Bach, l'Air issue de la "3e Suite pour orchestre". Voici donc deux antipodes, deux représentations du bien et du mal, puisque cette musique planante, empreinte d'une sorte de pureté divine (ne dit-on pas de Bach qu'il tutoyait Dieu), marque une courte trêve dans une enquête qui confronte les inspecteurs à un tueur aussi machiavélique que profondément sordide...

"Le Patient anglais", d'Anthony Minghella (1996)

1944, Toscane. Hana (Juliette Binoche), une infirmière canadienne, décide de s'installer dans un monastère abandonné pour s'occuper d'un mystérieux patient anglais au passé trouble (Ralph Fiennes). En explorant les ruines du monastère, elle découvre parmi les décombres un piano qui a partiellement survécu aux bombardements. Elle commence à jouer l'"Aria" et la première variation des "Variations Goldberg" de Bach. C'est alors que surgi Kip, un démineur indien : « Stop playing ! Please, stop playing ! The German were here. The Germans were all over this area. They left mines everywhere. And pianos were their favoutite hiding places. » Et tandis que Kip cherche l'éventuelle mine, Hana trouve le moyen de rire de cette situation pourtant périlleuse : « Then maybe you're safe as long as you only play Bach ». Kip la regarde, incrédule. Elle continue en riant : « He is German... » Kip reste imperturbable : « Is something funny? » Il finit par trouver la mine sous le piano et la montre à Hana : « Look. See ? Move that and no more Bach... » Voici tout le contraste entre un homme dont la vie est un face à face permanent avec la mort et une femme qui fait résonner en toute innocence une partition éternelle que la mort n'atteindra jamais...

"Casino", de Martin Scorsese (1995)

Premières secondes du film. Nous voyons Ace Rothstein (Robert de Niro, dans sa huitième et dernière collaboration avec Scorsese), que l'on devine au sommet de sa gloire (en atteste le pantalon blanc et la veste rose), sortir du casino et monter dans sa voiture tandis qu'il nous parle rétrospectivement en voix off : « When you love someone, you've gotta trust them. There's no other way. You've got to give them the key to everything that's yours. Otherwise, what's the point ? And for a while, I believed that's the king of love I had. » Il met le contact et la voiture explose. Retentit alors le chœur final de la "Passion selon Saint Matthieu" de Bach. Cette œuvre monumentale (qui est un oratorio, sorte d'opéra sans mise en scène) retrace les derniers instants de la vie du Christ, du dernier repas à sa crucifixion. Les premières paroles de ce chœur sont les suivantes :« Wir setzen uns mit Tränen nieder und rufen dir im Grabe zu : Ruhe sanfte, sanfte Ruh ! » (« Nous nous asseyons en larmes et t'appelons dans la tombe : repose en paix ! ») et font référence à la mort du Christ. Radicale comparaison donc entre Ace Rothstein et Jésus Christ, que tout semble séparer ! Mais ce n'est pas si étonnant, quand on se souvient que la religion et la mafia sont deux thèmes chers à Scorsese, et ce ne sera pas la première fois que le cinéaste donnera à ses anti-héros un destin christique ("Mean Streets", "Taxi Driver"...). Le générique de début commence ainsi, de manière prophétique. Les flammes de l'explosion sont celles de la mort où le corps semble tomber sans fin. Puis, grâce à un sublime fondu, elles deviennent les flammes d'un autre enfer : celles du casino qui mènera Ace Rothstein à sa perte !

"Hannah et ses sœurs", de Woody Allen (1986)

Dans ce chassé-croisé amoureux typiquement allenien, Hannah est la femme d'Elliot qui aime Lee, (la sœur d'Hannah), qui est en couple avec Frederick, un artiste plus vieux qu'elle... Dans la scène qui nous intéresse, Elliot parvient à se retrouver seul avec Lee, mais Frederick ne va pas tarder à revenir. En attendant, Lee pose sur le tourne-disque le vinyle d'un concerto de Bach et se met à écouter d'un air pensif : « Isn't that beautiful ? » Elliot se rapproche et fixe Lee intensément, bien qu'elle ne détache pas son regard du sol. Il lui dit : "I know this. Bach. F minor concerto. It's one of my favourites." Puis, après avoir parlé de tout et de rien, Elliot lui demande si elle a lu le poème qu'il lui avait recommandé, ce qui était bien sûr un moyen détourné pour lui déclarer sa flamme. « Yes, it made me cry. It was so beautiful, so romantic. » Une réponse qui suffit à échauffer encore un peu plus l'esprit d'Elliot qui nous révèle, par la voix off : « I want so badly to kiss her ». Puis, après avoir raisonnablement décidé d'adopter un comportement diplomatique et de contenir ses pulsions, il se jette finalement sur elle et l'embrasse passionnément : « Lee ! Lee ! Lee ! I'm in love with you ! » En le repoussant, Lee bouscule le tourne-disque, ce qui fait entendre le mouvement suivant de Bach, bien plus tumultueux, en accord avec la confusion de la scène, le tout couronné par le retour impromptu de Frederick...

"Solaris", d'Andrei Tarkovski (1972)

Difficile d'évoquer en quelques lignes l'univers d'Andrei Tarkovski, cinéaste russe aussi essentiel qu'insaisissable... Solaris est une planète mystérieuse dont le secret ne parvient pas à être décelé par les scientifiques qui l'étudient depuis des années. Après un inquiétant message en provenance de la station orbitale, le gouvernement décide d'envoyer le docteur Kris Kelvin (Donatas Banionis) sur place pour juger de la situation. En arrivant, il découvre une équipe décimée, en proie à des hallucinations. Après la première nuit passée dans la station, Kris découvre à ses côtés Hari, sa femme suicidée quelques années auparavant... Kris semble comprendre que Solaris est une forme supérieure d'intelligence qui parvient à matérialiser les êtres dont les passagers de la station portent le deuil. A deux reprises, nous voyons ondoyer la surface magmatique de Solaris, étrange plasma informe qui semble lire la mémoire de Kris. Nous plongeons alors dans ses souvenirs, son enfance, tandis que retentit le choral de Bach "Ich ruf zu Dir Herr Jesu Christ". C'est donc l'orgue qui sera l'instrument symbolisant l'étrange interaction entre Solaris et les souvenirs de son visiteur. Malgré les apparences, Kris finit par accepter que celle qu'il avait aimée n'est pas celle qu'il a en face de lui. Il décide de quitter la station pour ne pas sombrer dans la folie. Il se retrouve devant la maison de son père mais un son d'orgue se fait entendre... Alors, rêve ou réalité ?

Rémi Geoffroy Envoyer un message au rédacteur

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