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111 films pour une vision globale du cinema : 1ère partie

Partie 1 – des origines à 1969

Faire des listes de films est une pratique courante. Avec des volontés variables (« meilleurs films », « films à voir »…) et des limites malléables (généralistes, thématiques, d’une période donnée, dans telle circonstance…). C’est une entreprise inexorablement vaine, toujours subjective, frustrante et contestable, rarement stupide mais parfois polémique ou surprenante. Il y a au moins deux utilités à ces listes : susciter la discussion, et donner envie de découvrir les films que l’on n’a pas encore vus (ou de revoir les autres). Dans tous les cas, la cinéphilie en sort enrichie.

La liste ci-dessous est née d’une réaction personnelle à une initiative de "Télérama", dont la rédaction a proposé collectivement, il y a un an, une liste des « 100 meilleurs films de l’histoire », assortie d’un top 10 des recalés. Si ces propositions restent pertinentes et intéressantes (on retrouvera d’ailleurs une partie de leurs choix plus bas), elles méritent également qu’on puisse y répondre.

La proposition alternative ci-dessous n’est pas concertée et n’engage donc pas les autres membres de la rédaction d’Abus de ciné. Elle n’échappe évidemment pas à la subjectivité (l’absence de Terrence Malick en est une trace parmi d’autres) mais elle n’est pas non plus le simple reflet des goûts de son auteur (le contenu serait différent). Et que ce soit clair : elle est foncièrement critiquable et n’a pas la prétention d’être meilleure qu’une autre liste.

Si le classement de "Télérama" de 2016 est passionnant, il revendique une certaine diversité qui n’est pas vraiment atteinte. Ainsi, la liste suivante s’inscrit dans une autre démarche : non pas prétendre qu’il s’agisse des meilleurs films de tous les temps, mais offrir une variété d’œuvres permettant de parcourir l’histoire du cinéma dans son ensemble. Quand l’objectif est éclectique, il faut donc donner une place aux films intellos exigeants comme aux comédies populaires de qualité, aux courts métrages expérimentaux comme aux longs métrages d’animation, aux grandes tragédies comme aux films de science-fiction... Il convient aussi d’élargir un peu plus les horizons, notamment à l’Afrique, à l’Amérique latine ou à l’Inde (absents chez "Télérama"). Et si l’on veut un cinéma « écrit aussi au féminin » (dixit "Télérama"), il est nécessaire de ne pas se restreindre à deux femmes cinéastes ! Pour obtenir un ensemble plus hétéroclite, plusieurs choix ont été faits pour dresser la liste suivante : 1) classer de manière chronologique pour évacuer toute idée de hiérarchie, avec au moins un film par décennie ; 2) ne proposer qu’un seul film par cinéaste ; 3) ne se limiter ni aux longs métrages ni aux seules fictions ; 4) donner une place légèrement disproportionnée aux trente dernières années, notamment pour donner plus de place aux femmes et aux contrées « exotiques ».

Hap Hadley (domaine public)

1) La Sortie de l’usine Lumière à Lyon (1895) de Louis Lumière
Parce que les trois versions de ce « premier film » montrent à quel point il était déjà question de mise en scène même dans un cinéma dit « documentaire ».
2) Le Voyage dans la Lune (1902) de Georges Méliès
Parce que Méliès est un pionnier des effets spéciaux et que ce film est devenu quasiment psychédélique dans sa version coloriée que le groupe Air a mise en musique depuis sa restauration.
3) Intolérance (1916) de D.W. Griffith
Parce que le montage parallèle doit beaucoup à ce film et que son message est beaucoup plus humaniste que le très controversé long métrage précédent de Griffith.
4) Le Mécano de la Générale (1926) de Buster Keaton
Parce que Keaton réinvente déjà un genre, le film de poursuite, en mettant le train à l’honneur.
5) L’Aurore (1927) de F.W. Murnau
Parce que la réalisation étonnamment moderne contribue beaucoup au souffle universel de ce film.
6) L’Homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov
Parce que Vertov est l’un des grands cinéastes-théoriciens soviétiques qui illustre ici son concept de « ciné-œil ».
7) M le maudit (1931) de Fritz Lang
Parce que la notion de justice a rarement été si bien exploitée au cinéma, et parce que le visage de Peter Lorre et l’air sifflé d’Edvard Grieg imprègnent le spectateur pour longtemps.
8) Freaks (1932) de Tod Browning
Parce que Browning bouscule nos conceptions de normalité et d’altérité.
9) L’Homme invisible (1933) de James Whale
Parce que c’est l’un des films emblématiques des légendaires « Universal Monsters ».
10) King Kong (1933) de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack
Parce que c’est l’une des premières créatures créées spécifiquement pour le cinéma à s’ancrer si fortement dans la culture populaire.
11) La Phalène d’argent (1933) de Dorothy Arzner
Parce qu’Arzner est l’une des premières figures féminines majeures parmi les cinéastes et qu’elle est de fait une pionnière du féminisme cinématographique.
12) La Soupe au canard (1933) de Leo McCarey
Parce que les Marx Brothers sont les rois de l’absurde et qu’ils mettent ici leurs talents au service d’un plaidoyer antimilitariste.
13) La Grande Illusion (1937) de Jean Renoir
Parce que ce chef-d’œuvre livre une analyse lucide et humaniste de son époque trouble.
14) L’Impossible Monsieur Bébé (1938) de Howard Hawks
Parce que c’est un exemple emblématique de la « screwball comedy », par un réalisateur éclectique.
15) Le Magicien d’Oz (1939) de Victor Fleming
Parce que c’est la première grande comédie musicale en couleurs et qu’elle permet un grand plongeon dans l’imaginaire.
16) Le Dictateur (1940) de Charlie Chaplin
Parce que Chaplin était d’une grande clairvoyance sur le nazisme et que son discours final aurait mérité un Prix Nobel de la Paix.
17) Fantasia (1940), film collectif des studios Disney
Parce que le concept était ambitieux (Walt Disney souhaitait un programme évolutif) et a contribué à révolutionner l’animation.
18) Les Raisins de la colère (1940) de John Ford
Parce que cette adaptation du roman de Steinbeck reste sans doute la meilleure représentation cinématographique de la Grande Dépression de 1929.
19) Citizen Kane (1941) d’Orson Welles
Parce que les innovations formelles rendent légitime la réputation de « meilleur film de tous les temps ».
20) La Féline (1942) de Jacques Tourneur
Parce que c’est un bel exemple de film fantastique au sens littéraire du terme (si l’on s’en tient à la définition stricte de Todorov), doublé d’un film noir et d’un drame romantique sur le désir, la jalousie et la sexualité.
21) To Be or Nor to Be (1942) d’Ernst Lubitsch
Parce que c’est la preuve par excellence qu’il faut savoir rire de ce qu’il y a de plus sombre.
22) Arsenic et Vieilles Dentelles (1944) de Frank Capra
Parce que la graduation comique est impressionnante et que la pièce d’origine avait d’abord été pensée pour être un drame, ce qui montre que tout est possible.
23) Le Voleur de bicyclette (1948) de Vittorio De Sica
Parce que ce film emblématique du néoréalisme italien a quasiment valeur de documentaire sur l’immédiat après-guerre.
24) Eve (1950) de Joseph L. Mankiewicz
Parce que le cinéma doit beaucoup au théâtre et que ce film peut être considéré comme la reconnaissance ultime d’un art envers l’autre.
25) Chantons sous la pluie (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly
Parce qu’on ne voit plus la pluie de la même façon quand on a vu cette comédie musicale jubilatoire et parce que c’est aussi une excellente reconstitution des débuts du cinéma parlant.

© Toho Studios

26) Les Sept Samouraïs (1954) d’Akira Kurosawa
Parce que le maître du cinéma japonais montre qu’un film d’action ne doit pas se limiter à de l’action et que celle-ci doit se construire patiemment avec un travail profond sur les personnages.
27) La Nuit du chasseur (1955) de Charles Laughton
Parce qu’il y a parfois des chefs-d’œuvre sans lendemain (Laughton n’a jamais réalisé d’autre film) et qu’on ne peut oublier le rôle de manipulateur incarné par Robert Mitchum et sa chanson.
28) Les Fraises sauvages (1957) d’Ingmar Bergman
Parce que le cinéaste suédois livre un beau film sur la vieillesse, les souvenirs et les regrets alors qu’il n’a alors même pas 40 ans mais qu’il est déjà très prolifique.
29) Free Radicals (1958) de Len Lye
Parce que ce court métrage expérimental est hypnotique avec ses formes grattées à même la pellicule qui dansent sur une musique africaine.
30) Mon oncle (1958) de Jacques Tati
Parce que le génie de Tati était de renouveler le burlesque en donnant un aspect à la fois poétique et critique à sa vision de la vie moderne.
31) Certains l’aiment chaud (1959) de Billy Wilder
Parce que rares sont les comédies aussi rythmées de bout en bout et parce qu’elle est menée par un trio inoubliable : Marilyn Monroe, Tony Curtis et Jack Lemmon.
32) La Mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock
Parce que ce film résume à lui seul les principaux marqueurs de la filmographie du maître du suspense, du « MacGuffin » aux scènes d’anthologie en passant par le légendaire caméo, la musique de Bernard Hermann ou le générique de Saul Bass.
33) Diamants sur canapé (1961) de Blake Edwards
Parce que cette comédie dramatico-romantique est joyeusement foutraque et qu’elle doit beaucoup à l’hypnotique Audrey Hepburn.
34) Une femme est une femme (1961) de Jean-Luc Godard
Parce qu’il faut parfois sortir des sentiers battus au lieu de se satisfaire des références habituellement cités pour la Nouvelle Vague et que ce film-là bouscule les codes du cinéma, du langage et du son.
35) West Side Story (1961) de Robert Wise et Jerome Robbins
Parce que cette comédie musicale montre à quel point Hollywood peut à la fois contribuer au rêve américain et le questionner.
36) La Jetée (1962) de Chris Marker
Parce que ce court métrage de science-fiction renouvelle le langage cinématographique en proposant un montage d’images fixes.
37) Charulata (1964) de Satyajit Ray
Parce que le cinéaste indien le plus reconnu au monde posait déjà la question de la place des femmes dans la société de son pays.
38) Les Demoiselles de Rochefort (1967) de Jacques Demy
Parce que l’univers esthétique est hors normes et qu’il continuer d’être influent ou agaçant selon les points de vue.
39) Il était une fois dans l’Ouest (1968) de Sergio Leone
Parce que c’est ironiquement un Italien qui a renouvelé les codes du western et prouvé que le cinéma américain doit aussi beaucoup aux Européens.
40) Z (1969) de Costa-Gavras
Parce que ce film politique, emmené par le duo Trintignant-Montand, est un vrai choc.

Lire la deuxième et troisième partie de cet article.

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur